Un premier amour, c’est fantastique !

Falcon Lake de Charlotte Le Bon ou la naissance du sentiment amoureux dans une atmosphère fantastique. Adapté du roman graphique de Bastien Vivès, Une Sœur, le premier film de la réalisatrice québécoise est une madeleine de Proust pour tous ceux qui ont connu un premier amour au bord de l’eau.


L’été, un lac, une maison et une vague histoire de fantôme. Voilà les éléments du décor de cette histoire d’amour adolescente. C’est en s’appuyant sur ce socle, posé rapidement au début du film, que Charlotte Le Bon compose l’idylle entre ses deux personnages, Bastien et Chloé. L’un a 13 ans, “bientôt 14” dit-il dans un souffle quand on lui demande, comme tous les ados pressés de sortir de l’enfance. L’autre a 16 ans, vaguement rebelle, elle est le point de départ de l’intrigue et sera à la genèse de toutes leurs aventures. Elle est aussi celle qui nous fera ressentir l’aspect fantastique du film. D’ailleurs, pour introduire et développer le personnage de Chloé, Charlotte Le Bon emprunte au cinéma de genre, notamment aux codes du fantastique et même parfois à l’horreur pour sa rencontre avec Bastien. C’est dans cette utilisation du fantastique dans une romance aux contours naturalistes que la réalisatrice réussit quelque chose. Elle arrive aussi bien à capter la banalité des vacances, que la naissance de l’univers romantique qui germe dans les cœurs découvrant l’amour. Car à cet âge, le sentiment se vit comme une histoire totale. Le premier amour substitue à notre regard un monde modélisé par celui-ci, tout semble être lié à notre aventure. On est les deux nombrils du monde et tout le reste n’est qu’un décor posé là pour nous. L’été quand on est jeune a besoin d’une histoire. Il ne peut se contenter d’être une simple pause, dédiée à la contemplation et au plaisir des sens, c’est un truc d’adulte ça. Il ne peut pas non plus être un monde parallèle, sans frontière avec notre imagination où tout est prétexte au jeu, c’est un truc de gosse ça. Il sera alors un lieu hybride, où le jeu n’est plus une aventure solitaire et autistique mais une manière de connecter avec l’autre. L’entre-deux dans lequel s’installe le film est typique de l’adolescence. C’est-à-dire de l’enfant qui joue à l’adulte.


Le film capte à merveille cet entre-deux. Il nous montre aussi bien les soirées alcoolisées que les bols de chips devant un dessin animé. Il choisit ces deux corps avec un garçon au visage encore enfantin et une fille déjà voluptueuse et charnelle. On passe d’une histoire de fantômes chuchotée au bord du lac à la confidence sexuelle sur l’oreiller. On joue à se faire peur pour mieux se rapprocher, à se battre pour mieux se toucher, à se faire mal pour ressentir la même chose. Au-delà du premier amour, Falcon Lake est un vrai film sur l’adolescence. Il évite tous les pièges du teen-movie et s’approprie même ses codes pour mieux les détourner. Les dialogues sont toujours justes et ne sombrent jamais dans les répliques ridicules qui empoisonnent le genre. Ils sont constitués de non-dits, tournent autour du pot, disent une chose pour en dire une autre, et ainsi représentent parfaitement la difficulté de la verbalisation des sentiments à cette période. La stratégie du contournement atteint son paroxysme quand Chloé et Bastien se brossent les dents. On entend Chloé dire “je n’ai pas envie que tu partes” et Bastien répondre “moi non plus”. Si la scène n’était pas profondément touchante, on pourrait presque en rire. Il y a quelque chose de comique à regarder ces deux adolescents se dire ainsi “je t’aime”.


Reste un film qui avec un rythme lent, une photographie chaude et claire nous invite à la réminiscence. Falcon Lake est un souvenir posé artificiellement dans notre mémoire. On en sort avec l’impression d’avoir vécu cette aventure au bord du lac, d’avoir senti la chaleur de l’été sur nos épaules et la moiteur du désir sur notre peau. Il est une blessure au cœur dont la douleur prend la forme de la nostalgie d’une époque qu’on sait révolue, il remue le couteau dans le souvenir. On oublie trop souvent de dire que le premier amour est aussi le dernier, les autres sont tous les suivants. Falcon Lake nous rappelle son odeur, sa forme et la marque floue qu’il laisse dans notre mémoire.

Erospleure
8
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le 31 janv. 2023

Critique lue 22 fois

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