Polanski dans ce film mêle deux genres qui sont ses marques de fabrique : le fantastique, au sens balzacien du terme, à savoir le basculement anodin d'une situation réaliste et banale dans l'irréalité et l'étrange (le réalisme fantastique) et le genre du thriller. Il en résulte un curieux mélange d'Hitchcock (dont l'ombre pèse sur le film, par l'ambiance et l'atmosphère dégagés) et de burlesque fantastique, voire fantasmagorique si cher à Polanski.


L'intrigue même du film va dans ce sens : un médecin réputé (joué par Harrison Ford) est en déplacement avec son épouse à Paris pour un important congrès. Excédés par leur long voyage, ils se reposent à l'hôtel. Mais voilà, pour une raison mystérieuse, l'épouse disparait alors que son mari prend sa douche. La faute à une inversion de valise à l'aéroport. Celle que le couple ramène à Paris n'est pas la leur, mais celle de trafiquants, qui sont prêts à tout pour la récupérer. Commence alors pour le médecin un parcours initiatique haletant dans un Paris des années 80 : dancing sombres et glauques, looks new age, noirceur de la ville et désillusion. La France n'a pas dans le film une image dorée.


Le périple se déroule souvent la nuit, dans une ambiance sombre et sale. Le médecin se heurte à la barrière de la langue, et à des personnes incompétentes. Sa femme reste introuvable. Un soir, en boite de nuit, alors qu'il recherche un des hommes dont il a trouvé le numéro de téléphone dans la mystérieuse valise, il croise une charmante et captivante jeune femme, incarnée par Emmanuelle Seigner, une dealeuse débonnaire et libertaire mais également perdue. On sent l'amour de Polanski pour celle qui deviendra par la suite son épouse. Il la filme longuement, et on sent rapidement le désir et l'ambiguité naitre entre le médecin et la jeune femme. Désir qui ne sera jamais assouvi.


L'intrigue, linéaire, devient de plus en plus absurde, les noeuds dramatiques, improbables : fusillades, enjeux géopolitiques immenses, Polanski tombe dans une exagération toute fantasque. Mais la quête du héros est inaltérable : retrouver sa femme, à tout prix. Et le prix est lourd, le péril immense. L'action s'enchaine, frénétiquement.


Ce scénario, loufoque, bancal, s'il peut gêner par son invraisemblance, n'est cependant pas l'essentiel. Ce qui compte pour Polanski c'est l'ambiance, les décors, les situations. En résultent quelques scènes superbes : scène d'escalade sur les toits de Paris, les ponts de Seine au petit matin, une symbolique forte avec le jeu entre la statue de la Liberté de New-York et sa miniature à Paris. Le réalisateur décrit ici un univers fantasmagorique où la réalité se confond avec le rêve. Et plus encore, il s'attarde sur le sentiment si universel du déracinement : un étranger seul et perdu dans une ville qu'il ne connait pas (un sentiment que Polanski connait bien, lui qui a vogué de pays en pays). En témoignent les longs plans sur les voitures qui défilent sur le périphérique parisien, symboles d'une déshumanisation et d'une perte de repère dans une ville bouillonnante et chaotique.


Frantic c'est à la fois la frénésie et la panique au sens propre, frénésie d'une intrigue, panique d'un héros, étranger et solitaire.

Tom_Ab
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le 11 mai 2015

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