La Sagrada Familia ou plus exactement « Temple expiatoire de la Sainte Famille » est une basilique dont ce film documentaire présente l’historique, centré sur son concepteur-architecte le catalan Antoni Gaudi. Le film donne un aperçu du travail d’édification encore en cours et apporte une réflexion bienvenue sur les différents apports faisant de ce bâtiment une œuvre hors normes. D’emblée, on peut dire que cette construction relativise la place de l’individu puisque, comme à l’époque des bâtisseurs de cathédrales, plusieurs générations se seront succédées sur le chantier.


A l’origine, la Sagrada Familia est une idée d’un dévot barcelonais voulant édifier une église de dimensions raisonnables, sur souscription, pour redonner de l’élan à un souffle religieux en perte de vitesse à la fin du XIXème siècle. Appelé pour achever le projet, Gaudi a préféré poursuivre ce qui était en chantier (l’actuelle crypte), avant de s’attaquer à son projet de cathédrale.


Gaudi a vu plus grand, beaucoup plus grand. Après avoir travaillé sur d’autres projets, celui-ci est devenu l’œuvre de sa vie, fruit d’une inspiration très personnelle. Gaudi est décrit par ceux qui ont étudié son œuvre comme un architecte passionné (élève médiocre), qui a appliqué les règles de base tout en n’obéissant qu’à ses idées profondes. Marqué depuis l’enfance par des rhumatismes, il a toujours vécu seul, observateur fasciné par les formes naturelles qu’il a reproduites à sa façon (voir la démonstration de l’hyperboloïde), en utilisant ses techniques préférées : céramique, verrerie, ferronnerie et charpente. Sa principale influence, l’Art Nouveau.


Le premier intérêt du film est de mettre la future cathédrale en valeur, soit le minimum syndical étant donné le caractère franchement original du bâtiment. Les angles de vues privilégient la luminosité, les couleurs et beaucoup de détails qui mettent le spectateur dans une position privilégiée que le touriste moyen peut difficilement espérer, la BO utilisant la musique de Bach particulièrement adaptée.


Une voix off en français accompagne la visite d’une silhouette mystérieuse qui apparaît parfois dans des poses discrètes (esthétique mais d’un intérêt tout relatif). De nombreux acteurs du chantier interviennent, de l’architecte actuel à son frère qui dit la messe dans la crypte (seul lieu consacré, au début du tournage), en passant par un sculpteur, des ingénieurs, des concepteurs graphiques, un gardien d’une sorte de musée dévolu à la conservation de fragments de maquettes que Gaudi construisait lui-même (parce qu’il concevait tout en 3D mais ne disposait pas de logiciel de simulation), on apprend une foule d’informations et on admire notamment le travail de conception des vitraux.


Gaudi est présenté comme un homme exceptionnel, un saint ? Proposition vite oubliée par la narration qui s’attarde plutôt sur la visite de Benoît XVI (en 2010). Remarque au passage, en Espagnol on écrit Benet. L’éventuelle tentation d’évoquer ce Grand Benet figé dans sa papamobile aux vitres à l’épreuve des balles est tempérée par l’accueil enthousiaste de la ville, lorsqu’il vient consacrer la nef qui apparaît dans tout son éclat. L’enthousiasme est partagé par les religieuses, les membres du clergé et une foule d’habitants. Parmi eux, on remarque de nombreux supporters du Barça, portant en guise de T-shirt un maillot floqué au nom de Messi (le messie de toute une ville), laissant deviner que désormais, la religion du peuple, c’est le football (voir le bus circulant dans la ville, après la victoire du Barça en finale de la Champion’s League 2011).


Le plus intéressant dans ce film est la réflexion sur l’évolution du travail. La première pierre a été posée en 1882 et Gaudi n’a pu contempler qu’une œuvre inachevée. Le travail aurait pu s’arrêter à sa mort en 1926, ou pendant la sombre période du franquisme et de la Seconde Guerre Mondiale. A la reprise des travaux (1944), les plans et maquettes de Gaudi étaient détruits. Les bâtisseurs ont été confrontés à l’opposition de ceux qui ne voulaient pas risquer que l’œuvre de Gaudi, même inachevée, soit dénaturée. Finalement, un artiste catalan qui s’était d’abord opposé à la reprise des travaux a été engagé pour s’occuper de la façade de la Passion. Il se présente comme agnostique (refus de trancher sur la question de l’existence d’un Dieu, par manque de preuves) et explique avoir travaillé selon son inspiration, son style. Un style très moderne, tout en angles alors que Gaudi était un inconditionnel des formes arrondies. Trahison ou poursuite d’un travail dont le style évolue naturellement ? La réponse est peut-être celle du sculpteur qui explique sa façon de travailler, très inspirée. Un sculpteur Japonais d’origine qui, même s’il s’est converti au catholicisme, conserve une grande influence du bouddhisme.


Le film insiste donc sur le personnage de Gaudi architecte. Tout le symbolisme qu’il a placé dans la Sagrada Familia, sa vision de la religion restent assez flous. En ce qui concerne l’évolution du style (sculptures), il est honnête d’évoquer les controverses et de poser le problème. Par contre, le film ne présente quasiment que des personnes travaillant à l’achèvement de la cathédrale. Tous admirateurs de Gaudi, convaincus de respecter sa volonté. Le film explique pourquoi en achevant tout un pan, Gaudi a rendu quasiment impossible la poursuite du travail (architecture) selon une orientation différente de la sienne. Une pétition (signée par Le Corbusier, mais aussi par un certain Manuel Valls) s’opposant à la poursuite des travaux est évoquée, était-elle représentative d’une tendance forte ? Et puis la voix off explique que, désormais, les travaux sont entièrement financés par la vente des billets d’entrée aux touristes, disant que pour certains la Sagrada Familia est devenue un parc à thème. Ce côté mercantile est évoqué rapidement, sans donner la parole à quelqu’un qui souhaiterait chasser les marchands du Temple. Dommage. On sent également des possibilités de tension entre barcelonais avec la prochaine façade à mettre en chantier qui devait, selon les plans de Gaudi, ouvrir sur une large avenue. Or, depuis, deux énormes pâtés de maisons occupent cet espace. Y a-t-il une possibilité d’accord, de compromis ?


Ce film du Suisse Stefan Haupt est donc très intéressant et il ouvre des pistes de réflexion qui mériteraient d’être creusées

Electron
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le 27 avr. 2014

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