En voilà une excellente surprise. Qui l'eût cru, alors que mes souvenirs me criaient de ne pas revoir ce film parce qu'il m'avait laissé l'impression d'un ennui terrible... que ce Prince de Sang-Mêlé soit in fine, après réflexion et revisionnage, un des meilleurs Harry Potter. 

Entamons donc cette sixième critique consacrée à la saga à 9 milliards de dollars de bénéfices, et au deuxième film signé David Yates pour cette licence. Au terme du cinquième opus, David Yates nous avait laissé avec un arrière-goût bien fade, d'un film lisse, sans prise de risque, sans relief ni idées. Une copie de yes man (oserai-je dire de «  yates man ») parmi tant d'autres, se contentant d'adapter sans grande intelligence un livre qui méritait un vrai travail de réécriture pour le transposer efficacement à l'écran. Mais, petit miracle, Yates a appris visiblement de ses erreurs.
Ici, le film prend le temps de développer son intriguer, ses personnage, principaux comme secondaires, et même tertiaires (Slughorn, Lavande...) : et, comme quoi il n'y a pas de secret, comme c'est bien écrit, le film est bon.


A y regarder de plus près, autant dans les avis généraux que parmi les notes de mes éclaireurs, cet épisode n'est pas très aimé. Et ça peut se comprendre. Le film est assez différent, beaucoup plus posé – d'aucun dirait mou. Et on peut aisément concevoir qu'après avoir payé leur ticket de cinéma, les gens s'attendaient à plus d'action et plus de divertissement, et pas à 2h30 de développement d'intrigues et de personnages. C'est sans doute la même chose que j'ai dû me dire à l'époque. Mais cette critique se tient si on prend ce film comme un one-shot blockbuster. Ce qui est faux : il est à considérer comme une étape dans une saga, et partant de là, il remplit parfaitement sa fonction. Je m'explique : une saga cinématographique fonctionne peu ou prou comme une série TV. Chaque épisode se doit à la fois d'être cohérent avec l'intégralité de l’œuvre (ici, la saga Harry Potter dans son intégralité) et d'être un morceau de qualité en lui-même. C'est un double défi que le Prince de Sang-Mêlé réussit parfaitement.

Sachant probablement qu'il allait être en charge des deux parties des Reliques de la Morts, et qu'il aurait grosso modo 5 heures pour faire tout exploser lors du grand bouquet final de la saga, Yates a en effet pris le pari de faire de ce sixième opus une rampe de lancement vers l'acte final. Un film posé, orienté non pas action mais développement : alors que dans le précédent film, les personnages n'interragissaient pas entre eux, ici on a que ça ou presque.
C'est là que David Yates embrasse son vrai talent, celui de directeur d'acteurs : car un film centré sur les dialogues et les situations « banales » aurait pu être d'une inutilité confondante, et d'un ennui profond, sans le souffle à la fois sérieux et comique – beaucoup de petits traits d'humour, distillés quand il faut – impulsé par le réalisateur. Un succès qui est bien aidé, il est vrai, par un montage enfin calmé de la frénésie abrutissante de L'Ordre du Phénix. Les acteurs ont enfin de l'espace, et ça se ressent.


Résultat, Harry Potter regagne enfin ici son côté immersif, avec cette vie de tous les jours poudlarienne qui nous manquait tant depuis l'épisode 3. On retrouve le train, on se remate un match de Quidditch. On réassiste à des cours et on traine à nouveau bavarder dans les couloirs. Une bonne vieille recette de potion, digne du Prince de Sang-Mêlé, en somme. Et avec l'immersion retrouvée vient l'émotion renouvellée : après l'énorme raté de la mort de Sirius, celle de Dumbledore pardonne tout : construite avec une fatalité méticuleuse (les scènes avec Drago dans la Salle sur Demande, réparties avec talent, font monter la pression), avant la « Chute » du sorcier, certes un peu kitsch et théâtrale, mais néanmoins marquante. 

Plus que de réparer le gâchis du cinquième film, Le Prince de Sang-Mêlé comble les lacunes de toute la saga : enfin la relation Hermione et Ron prend de l'épaisseur, et idem pour celle entre Harry et Gini. Enfin Drago se développe, sortant de son agaçante fonction de némesis tête à claque, pour devenir un vrai méchant torturé. Yates est bien plus à l'aise dans ce registre. Et comme il n'y a pas de hasard, les idées de réalisation lui viennent enfin : à l'image de ce plan-séquence fugace mais lourd de sens, réunissant dans un même traveling numérique sur le château Ron et Lavande d'un côté, puis Drago à la tour d'astronomie. Comme pour mieux montrer comment les amourettes de la vie étudiante coexistent avec le poids des intrigues, des responsabilités, d'une guerre au stade larvaire, dont l'éclosion est imminente. Ça ne casse pas trois pattes à un Nargle, certes, mais ça a le mérite d'exister et d'avoir un charge signifiante.


Quant à l'action, oui elle se fait rare, c'est une certitude. Mais c'est pour mieux apprécier quand elle arrive, à l'image du troisième acte, ou bien de l'attaque des Mangemorts sur Londres. En plan-séquence là-aussi. Comme quoi, c'est vraiment une vieille recette de sorcier...
Cyprien_Caddeo
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le 12 oct. 2016

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Cyprien Caddeo

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