Car le Beau n'est rien d'autre que ce début de l'horrible qu'à peine nous pouvons encore supporter.
- Rainer Maria Rilke

Un vieux Casanova quitte les mondanités galantes de son château pour s’aventurer dans les Carpates, où il sera confronté à l’incarnation des forces nouvelles, violentes et mystérieuses, représentées par Dracula.

En moins d'un an, deux films ont fait de la défécation un évènement intéressant, un évènement important, et cette fois, Serra est en avance sur Godard. Serra est prêt à tout ; à nouveau, comme il l'a déjà fait dans ces précédents films Honor de Cavalleria et El cant dels Ocells, il s’approche de la littérature mythique, d’abord la Bible, ensuite Don Quichotte et maintenant le mythe de Dracula, pour s’éloigner de toute possibilité historique tout en réduisant le mythe aux intermèdes banals des mésaventures, aux temps morts de ses personnages, absents dans les textes originaux. Le résultat final est une surcharge alternant entre les fadaises du rationalisme pédant de Casanova et le monde ésotérique de Dracula avec des longs silences entrecoupés de conversations stériles.

Le sinistre est ce qui, devant demeurer caché, s'est révélé à nous.
- Schelling

Mais la nature radicale de la proposition d’Albert Serra demeure dans la revendication de la liberté absolue d'auteur. Cette liberté exige une certaine mystique, un besoin de communiquer avec Dieu (en se faisant dieu lui-même).
D'où la modification impromptue du format d'image, un changement prêt à amputer 40% du total, il passe du 4.3 au 2.35, le format du scope sans se poser des questions. Comme un peintre qui coupe la moitié de sa toile selon son point de vue de génie et il le fait sans hésiter, il se croit le seul maître à bord, et il fait, toujours fier de son attitude, ce qu’il veut, un peu comme son maître et compatriote Avida Dollars.

Mais il cherche aussi sa place parmi des auteurs historiques : l’honnêteté d’une démarche artistique et la fondamentale innocence dans le travail de Pasolini (il se revendique "non professionnel" et il se méfie de la nature du scénario), ensuite le mysticisme à travers des dialogues surréalistes de Simón del desierto de Buñuel et pour finir il s’approche de l'esthétique baroque de Syberberg qui l’éloigne de ses premiers pas à l'école des Straub.

La composition plastique de Serra est réglé comme un jeu, il s’empare de la matière cinématographique, combinant et mettant sur l'écran par des séquences d’alchimie (métaphore du travail du cinéaste), des images grotesques héritées de Goya et du paysagisme de Modest Urgell, ici de nature langienne, avec une bande son toute puissante destinée à amener aux spectateurs tout ce qui était en dehors de l’image, comme chez Bresson. Tout en jouant avec les genres, fusionnant l’horreur, les films de vampires, la métaphysique et de l'humour avec la décomposition de l'image vers un domaine plus proche de l'art vidéo.

Et quand il eut dépassé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre.
- Friedrich Wilhelm Murnau

Le film évoque aussi l'histoire de la mort d'une époque axée sur une sensualité percée de l'intellectualisme : la rationalité ancrée dans le corps.
Le titre renverse ironiquement les mémoires de Casanova, Histoire de ma vie ; cette Histoire de ma mort comprise dans un cadre conceptuel, fait allusion à la mort du siècle des Lumières et au nouveau monde qui émergera après la Révolution française. La mort d'un Âge d'or, parmi tant d'autres dans l’Histoire, dont la fin est forcée par l'éternel retour, pour obtenir par l'alchimie historique l'or d'une humanité renouvelée.

25 juillet 2014
Nicolás Marín
nemb92
6
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le 3 sept. 2014

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nemb92

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