Après la fameuse trilogie du Dollar, Sergio Leone, revient une nouvelle fois au genre du western, réinterprétant avec génie les leitmotivs du mystique Far West qu'il a oeuvré à recréer et commençant une nouvelle trilogie mythique, les "Il était une fois". Tout semble répondre en plus grand, en plus puissant au Bon La Brute et le Truand dont Il était une fois dans l'Ouest est une sorte de suite symbolique.
En effet, on retrouve le fameux trio (les trinités, et le chiffre 3 obsèdent Sergio Leone) : le bon, la brute et le truand, cette fois incarné par Charles Bronson, Henri Fonda et Jason Robards, excusez du peu. Les trois pierres angulaires du western spaghetti, cradingues, à la moralité douteuse, aux rôles ambivalents, portés sur la boisson, les filles et la gâchette. Leone reprend les vieilles recettes qui ont fait son succès et il a bien raison. Posant un regard d'introspection sur sa propre oeuvre, il la transcende.
Leone y ajoute quelque chose supplémentaire, la femme. Claudia Cardinale (Jill) irradie le film de sa beauté. Elle est une figure quasi angélique, face à ces hommes crasseux, libidineux, criminels. Sa splendeur de madone immaculée tranche avec l'aridité et la sauvagerie du désert. C'est par elle que la civilisation arrive, avec le train, que l'Ouest s'humanise et que les derniers cow-boy viennent s'écharper avant de disparaitre à jamais. C'est elle l'héritière d'une ville amenée à devenir prospère et qui, dans un plan final magnifique apporte de l'eau aux hommes qui la bâtissent. Aucun des trois garçons ne survivra à cette arrivée fracassante. Elle sera l'objet de leurs convoitises, sexuelles, financières, même maternelles, mais elle les surplombe. Si elle est angélique, là encore, Leone la teinte d'ambivalence, elle n'est pas un objet ou une femme faible, ancienne prostituée, elle tient tête aux salauds qui peuplent ces contrées éloignées et sauvages, animée d'une puissance de vivre inversement proportionnelle aux instincts meurtriers des hommes (d'ailleurs une scène fait écho à la propre histoire de l'actrice, violée à l'âge de 17 ans). Je le dis assez rarement, parce que je ne souhaite pas résumer les femmes à leur beauté, surtout dans un film où ce n'est pas le cas, mais la beauté de Claudia Cardinale m'a littéralement subjugué ; Sergio Leone filme tant et tant la laideur du désert, de la pierre, des gueules ivrognes et crasseuses, qu'elle ne fait que ressortir avec plus d'évidence.
Le film mêle tous les genres. L'humour ne manque pas, avec un certain nombres de répliques et situations improbables, à la fois issues de l'écriture fabuleuse du film (Bertolluci et Argento au scénario, quel rêve) mais aussi de la mise en scène.
Harmonica : La prime pour la capture de cet homme est de 5000 dollars.
Cheyenne : Un certain Judas a trouvé que 30 dollars c'était suffisant.
Harmonica : N'y avait pas de dollars en ce temps-là.
Cheyenne : Mais des fils de putes, ça y en avait.
Le personnage de "l'harmonica" est une figure mystique et fantastique tout à la fois, une sorte de justicier vengeur dont on ne connait rien, une ombre venue hanter les environs, qui s'annonce magistralement en jouant de l'harmonica. On comprend certes à la fin son plan vengeur, venu faire payer au vieux Franck les sévices qu'il a fait subir à sa famille mais c'est tout. Il est le justicier à l'harmonica, sorte de super héros hollywoodien avant l'heure. La scène d'ouverture, parmi les plus célèbres scènes de tous les temps, mériterait à elle seule une analyse. Lente, patiemment construite, elle déploie l'univers et le génie de Leone, jusqu'à montrer le visage de l'homme à l'harmonica et construire sa légende.
Le film est également une fresque historique habilement reconstituée par une myriade de détails : la conquête de l'ouest par le train, les mouvements de misère et de transhumance que produit l'arrivée du progrès. L'argent, comme dans la trilogie du dollar demeure le vice par lequel le mal commence, conduisant au genre du drame, avec cette histoire de veuvage, d'assassinat, de vengeance et cette mélancolie qui se dégage de l'ensemble. Car derrière la violence et les situations loufoques, il y a un lyrisme certain, une douceur féminine, que le film, volontairement lent, prend le temps de déployer. Même chez le vieux Morton, un millionnaire infirme qui lorgne sur le bout de désert que possède la belle Jill, il y a de l'humanité. Loin de sa mer natale, il contemple un tableau dans son bureau luxueux qui évoque les vagues et les bourrasques et on se prend de pitié pour lui, infirme qui n'a pas sa place dans la dureté du désert.
Les astuces de Sergio Leone derrière la caméra ont fait l'objet de bouquins entiers tant elles sont un modèle du genre. Son travail sonore permet d'instaurer des ambiances, des tensions permanentes, de la goutte d'eau au vent, en passant par les grillons et les cliquetis des revolvers. La menace peut se faire en dehors de l'écran. Les personnages, souvent taiseux, n'ont pas besoin de parler pour que l'on comprenne ce qui se passe. Sergio Leone dessine des fresques, qu'il filme lentement, passant sur les visages, les paysages par des angles de vue qui donnent un sens immédiatement universel à ses images. En cela il est moderne. Il a crée une mythologie de l'image, des icônes, des clichés presque, un genre tout entier à lui seul. La dimension religieuse, biblique de son oeuvre est claire : des figures mystiques, des rachats de fautes, des vengeances, des trinités. Une Bible plus ambivalente, plus sale, plus humaine, mais une Bible quand même, la Bible du western. La source d'inspiration de tout un pan du cinéma.
Il sait aussi surprendre, par des plans larges, resserrés puis dézoomés laissant apparaître le paysage derrière et donnant ainsi un autre sens à la scène (travelling arrière) ou à l'inverse il s'attarde sur des menus détails qui participent au charme du film : un jeu avec une mouche durant de longues secondes, des plans sur les regards (une obsession de Leone pour les yeux devenue une sorte de gimmick), sur des pistolets, des bottes, des ceinturons, des prises de vue improbables. Ce qui est étonne toujours c'est la lente préparation des combats puis leur résolution, extrêmement rapide ; en un éclair, la mort frappe. Sergio Leone entretient aussi un rapport particulier à la sueur, à la poussière, il filme des visages sales, vilains, des truands, des bandits, des vauriens. Il aime la saleté, elle révèle pour lui quelque chose de la nature humaine ou de l'intérieur de l'âme. L'illustration de la sécheresse et de l'aridité du grand ouest visible sur des visages.
Et que dire de la musique ? A la fois épique, lyrique, sensible, électrisante. Répétés inlassablement durant tout le film, varié à l'envie, sur tous les rythmes, dans toutes les instrumentalisations, quelques thèmes centraux sont ressassés pour un plaisir infini. Du pur Morricone, avec des effets sonores autour de l'harmonica, des expérimentations à la guitare électrique, de la tension et à d'autres moments du pur lyrisme qui fait frémir les larmes aux bords des yeux. Le thème qui accompagne Jill (Claudia Cardinale) ne peut que conquérir les cœurs, il amène la douceur dans un monde inexorablement violent. Décidément, c'est à ça qu'on reconnait les chefs-d’œuvres, tout y est absolument parfait. Sergio Leone a utilisé la musique pour composer son film. On sent que la musique n'est pas ornementale, elle est le film, son âme, un personnage, de l'harmonica qui est la métaphore d'un justicier sans nom à la myriade de petits bijoux sonores que nous offre le grand Ennio.
Il était une fois dans l'Ouest est un titre inexact. Le mieux serait de dire Il était une fois l'Ouest - ce que le titre en italien suggère d'ailleurs. Sergio Leone a inventé l'ouest. Comme la ville qui jaillit de nulle part au milieu du désert, son film crée une mythologie éternelle, celle du western, une genèse, son alpha, son oméga. Il y a un avant et il y a un après Sergio Leone. On aura de cesse par la suite de le copier tant le film exerce une fascination éternelle, tant il est l'aboutissement de l'idéal chevaleresque du cow boy solitaire. Poor lonesome cowboy.