On ne présente plus Enki Bilal dont l'œuvre abonde dans les librairies depuis la fin des années 70 et dont le style se caractérise par un graphisme pour le moins unique, identifiable au premier coup d'œil mais qui a su pourtant évoluer tout au long de la carrière de son auteur – ce qui n'est pas le cas de beaucoup d'autres. Si cette touche toute personnelle a été ici brillamment transposée, le réalisateur n'en a pas pour autant délaissé les fantastiques possibilités qu'offrent les outils contemporains du cinéma ; il en résulte une évolution du « style Bilal » particulièrement frappante, où les technologies d'images de synthèse et de compositing lui confèrent un aspect qu'il n'avait jamais ne fut-ce qu'effleuré auparavant.


Car ce qui différencie Immortel... de la plupart des autres films à effets spéciaux qui misent tout sur les images au détriment d'un réel propos de fond – outre le budget de cette production, évidemment incomparable avec celui des blockbusters américains – c'est qu'ici l'hyperréalisme n'est pas un but mais un moyen. Un moyen de donner à la création originale de Bilal dont ce film est une adaptation un second souffle tout à fait inattendu. En transposant ainsi la patte graphique de l'artiste à travers l'hyperréalisme, celle-ci acquiert bien sûr la proximité, la réalité à laquelle les images de synthèse nous ont habitué, mais elle atteint aussi un autre niveau de plasticité, de rendu, d'effets de matière, de facture... bref, un niveau artistique radicalement nouveau, au moins dans la lignée du reste de la production de Bilal – niveau d'ailleurs pas forcément supérieur mais qui reste en tous cas une évolution certaine par rapport à celui dont il s'inspire.


À la différence des autres films à effets spéciaux qui ne proposent rien d'autre que des images impossibles à distinguer du réel – avec tout ce que ça implique de limitations sur les plans artistiques et créatifs – et qui se résument la plupart du temps à des performances techniques, ou technologiques, Immortel... se place dans le registre de l'expérimentation, dans la tentative pour un auteur qui n'a plus rien à prouver depuis longtemps d'exprimer son immense maîtrise artistique dans un registre si différent qu'il amène forcément des innovations drastiques dans la facture, et donc dans l'émotion que procure le résultat final – hors c'est bien cette faculté de permettre au spectateur d'éprouver une émotion qui caractérise l'Art.


Reste le propos de fond, qui aurait peut-être mérité plus d'approfondissements mais qui a au moins la qualité de sortir des sentiers battus du cinéma de science-fiction grand public basé sur des scènes d'action soporifiques et des sentiments niais, et dont Hollywood nous abreuve jusqu'à la nausée : avec une parfaite transposition, tout aussi originale qu'inattendue, de l'univers de décadence rouillée et de corruption moisie si caractéristique du travail de Bilal, Immortel... nous offre un portrait tout à fait reconnaissable de notre présent où les choses ne sont jamais ce qu'elles ont l'air, et surtout quand il s'agit des plus familières d'entre elles – un subterfuge narratif du reste éventé depuis longtemps et qui ici n'atteint pas de niveau supérieur de réflexion...


Il en résulte néanmoins une œuvre tout à fait unique dans ses images, qui charmera forcément tous ceux d'entre vous qui aiment les productions inhabituelles, les expériences inattendues, et bien sûr l'œuvre toujours aussi originale et personnelle de Bilal, ici très brillamment renouvelée.


Notes :


Ce film est une libre adaptation de la BD La Foire aux immortels et sa suite La Femme piège, toutes deux d'Enki Bilal, sur un scénario de lui-même et de Serge Lehman, célèbre auteur et anthologiste de science-fiction.


Ce film a été nominé aux César 2005 dans la catégorie Meilleurs Décors, et aux Prix du Cinéma Européen en 2004 dans les catégories Meilleure Actrice (Charlotte Rampling) et Meilleur Acteur (Thomas Kretschmann).

LeDinoBleu
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le 7 mai 2011

Modifiée

le 9 sept. 2012

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LeDinoBleu

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