Iron Claw
7.2
Iron Claw

Film de Sean Durkin (2023)

La malédiction de l'amour-propre

"Désolé les enfants, je ne devrais pas pleurer devant vous, un homme ne doit pas pleurer"

Iron Claw est, à mon humble avis de cinéphile, la grande surprise de ce début d'année 2024. Si l'oeuvre de Sean Durkin semble se focaliser sur la thématique du Catch, ce n'est point un film sur la lutte qui nous est présenté ici, mais bien un drame familial.

En effet, le film nous raconte l'histoire tragique de la famille Von Erich, une fratrie de lutteurs essoufflée et meurtrie par un besoin incessant de compétitivité et de victoire absolue, valeurs à priori destructrices, inculquées par un père tyrannique, le dénommé Fritz Von Erich.

Je commencerai par dire qu'Iron Claw n'est pas un procès à charge contre la compétition dans le milieu du sport, pas plus qu'il n'est une critique virulente adressée à ce qu'on appelait, jadis, la "virilité". Je crois surtout que le film en critique les dérives, et ça, il le fait avec une grande justesse. Il pointe du doigt, avant tout, les excès du sport, comme l'usage de produits dopants et la volonté incessante, notamment dans les sports de combats, d'écraser l'autre.

Ce sont toutes ces dérives du sport qui précipiteront la famille Von Erich vers la tragédie. Mais ces dérives à quoi ou à qui sont-elles réellement dues ? Une phrase, après l'accident de Kerry sur le ring peut donner la réponse au spectateur : "On a perdu le contrôle, il n'aurait jamais dû monter sur le ring"

C'est du besoin de contrôle qu'il s'agit.

Celui qui contrôle, c'est évidemment le père, patriarche autoritaire souhaitant garder par tous les moyens son emprise sur ses garçons. Ce besoin de tout contrôler, de faire de ses fils de véritables machines de guerre déshumanisées à son service et de mépriser ceux qui ne sont pas à la hauteur : c'est cette emprise qui sera à l'origine des dérives et par conséquent du drame familial. Si la première partie est haute en couleur, les plans se déroulant, en effet, pour une majorité de jour, avec des lumières vives en prédominance, la deuxième est, quant à elle, beaucoup plus sombre, avec une majorité de plans se déroulant la nuit. La petite maison texane parfaite du début laisse progressivement place à une famille fragmentée, déchue et totalement déchirée. De même les combats spectaculaires et héroïques de catch de la première partie deviennent peu à peu des combats de mise à mort publiques dont le bruit assourdissant sur le ring viendra hanter Nick durant son sommeil.

Il n'y a en réalité point de malédiction "extérieure" subit par la famille Von Erich. La seule malédiction se trouve en réalité à l'intérieur de la famille, créée par elle-même, par ce besoin obsédant d'amour-propre.

Ce besoin de reconnaissance est, d'ailleurs, à l'image du Catch lui-même. La lutte, telle qu'elle nous est présentée à l'écran, correspond à l'art de celui qui aura la plus grande gueule, disons le encore plus vulgairement, celui qui aura "la plus grosse". En ce sens-là, le film apparaît comme une véritable critique du virilisme et du masculinisme exacerbé.

Kevin s'oppose à ce modèle-ci. Il correspond en vérité et malgré les apparences, sous ses deltoïdes et son six-pack "stéroïdiés", à l'homme sensible et vulnérable. Et c'est cette sensibilité, et cette prise de conscience de ses propres émotions, qui lui permettront de racheter son salut, et de reprendre sa vie en main, avec sa femme et ses enfants. Ainsi, il sera le seul de sa famille à passer d'une bête assoiffée de victoire et de sang, à un véritable être humaniste, rescapé du drame.

Le film n'est finalement qu'une lettre ouverte aux émotions, émotions si souvent refoulées par le masculin. Le film nous montre qu'un homme a le droit d'affirmer ses émotions, qu'il a le droit d'être tendre avec sa femme, et qu'il a aussi le droit de se montrer vulnérable face à ses enfants. Ce sont des banalités certes, mais qui ne sont pas acquises par tout le monde aujourd'hui. Une critique à en faire pâlir toute la communauté Redpill n'est-ce pas ?

J'aimerais terminer cette courte critique par une citation de Didi-Huberman, tirée de sa petite conférence : Quelle émotion ! Quelle émotion ? : “Celui qui est ému devant les autres ne mérite pas le mépris, il expose sa faiblesse, il expose son impouvoir, ou son impuissance, ou son impossibilité à “faire face”, à “faire bonne figure [...] En prenant le risque de “perdre la face”, l’être exposé à l'émotion s’engage aussi dans un acte d'honnêteté: il refuse de mentir sur ce qui le traverse, il refuse de faire semblant. Cela peut même, en certaines circonstances, apparaître comme un acte de courage que d'oser montrer son émotion” (P.23).

Cast17
7
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le 20 févr. 2024

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Théo Cast

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