On peut dire que le film est le pendant féminin de Barry Lyndon. Un plan, au début du film, avec le premier comte qui va propulser Jeanne du Barry les montrant dans une vaste salle vide, devant une immense fresque, n'est pas sans rappeler un célèbre plan du film de Kubrick où Redmond Barry dépérit, comme Jeanne, qui n'aspire, elle aussi, qu'à la grandeur.

Evidemment le parallèle montre les limites du film de Maiwenn, qui a l'élégance de puiser dans cette référence et ce classique, - le clin d'oeil est obligé avec ce patronyme Barry et elle l'a admis - puisque Maiwenn a moins d'élégance quand finalement elle fait de la comtesse le portrait idéalisé d'elle-même.

En effet, elle incarne un personnage qui a une ascension fulgurante - comme Barry Lyndon - et une chute tout aussi fulgurante. Mais elle se met à raconter finalement sa propre ascension : venue d'un milieu populaire et d'une enfance difficile, se lançant dans le mannequinat très tôt (La Du Barry pose pour gagner de l'argent) puis entrant dans le grand monde, devenant courtisane, souvent d'hommes bien âgés - et c'est Maiwenn qui a été l'amante d'hommes bien plus âgés, Eric Serra ou Luc Besson. C'est une femme libre qui va finir donc par côtoyer les plus hautes sphères du cinéma et des stars, ici c'est Johnny Depp, un roi d'Hollywood, une figure ultime en somme, qui campe un Louis XV mélancolique et distant. Nait un amour fidèle, éternel, Maiwenn défendant son roi jusqu'au bout, même contre les rivales, les jalouses (les autres courtisanes, les filles du roi), et ensuite contre le peuple qui la décapitera, la meute des médias, des critiques, elle qui a pris la défense de certains hommes violents et libidineux, envers et contre tous. Versailles aussi est un immense théâtre, un immense cinéma.

C'est aussi le retour de Johnny Depp en roi, en français et le rôle lui va plutôt bien et lui fait prendre des risques. Il porte le film, bien que peu présent à l'écran et peu bavard, les acteurs français tournant autour de lui comme la Cour autour d'un roi. C'est le monstre sacré, à la moralité douteuse, la Cour crachant sur lui, même ses filles. C'est tout le parcours de Depp finalement, roi d'Hollywood en retrait et sali par ses propres excès et ses propres vices. La scène où il termine vérolé est la métaphore de lui même.

On le voit le film a une dimension autobiographique un peu narcissique. En effet, Maiwenn fait de ce long métrage une forme de conte, elle princesse de Versailles avec ses robes fulgurantes, plus belle que les autres, les filles du roi étant grotesques et laides, jusqu'à la caricature. Elle aime son roi, elle vit un conte de fée, de luxe et de luxure. Versailles est filmé comme un lieu enchanté : dans le brouillard, à l’aube, au crépuscule, apparition splendide. C’est le lieu du rêve.

Le film demeure classique et classieux par instant : de très beaux plans de Versailles, du palais, des diners à la chandelle, des décors feutrés, presque de tableaux. La reconstitution est superbe, fonctionne, avec de longs plans et des musiques classiques. Les acteurs s'en sortent tous, parfois avec des mimiques très marquées et donc mémorables. De temps à autre, il y a de la fantaisie, presque du vaudeville, avec les filles du roi stupides en mode Cendrillon, des répliques salaces de Pierre Richard, cabotin, et des costumes et des perruques délirantes (très Marie Antoinette de Coppola, autre référence que le film suit avec des scènes similaires). Ce mélange des genres est assez unique : Pierre Richard avec Johnny Depp, c'est totalement improbable !

Mais le film se perd dans son sujet, ne délivrant pas vraiment de messages, suivant vaguement l'histoire (sans faire d'impairs historiques, ce qui est déjà bien) et la seconde partie, avec la lente agonie du roi vire au mélodrame un peu kitsch, là où l'ascension de la Du Barry était mieux amenée. On peut ainsi passer de scènes assez bonnes comme la colère froide du roi envers ses filles, comme le lever du roi, à des moments plus oubliables, comme la scène où les filles du roi vomissent leur racisme (effet trop grossier alors que la scène précédente, montrant le page Zamor de la Du Barry dans un paquet cadeau, suffisait à comprendre ce racisme). Le personnage du page est d'ailleurs inutilisé et comme beaucoup d'éléments ne sert que de décor. Ainsi, du Barry ne veut que la gloire, la vacuité d'une Cour qu'elle entend réformer, sorte de simili Marie Antoinette. Elle veut une famille et l'amour. Exit l'intellectuelle qu'on nous a introduit pourtant et les jeux de pouvoir. Exit aussi le féminisme malgré une scène d’examen gynécologique violente et un comportement douteux de certains hommes. Les femmes sont les ennemies dans ce film. Depp et Maiwenn, controversés, les voilà absous, bons jusqu'au bout, envers et contre tous, contre l'étiquette, contre la morale, contre la Cour. Conte de fée. Le roi remercie même le page noir sur son lit de mort, scène très hautement improbable, comme s'il pouvait faire partie des leurs à l'époque mais le roi est au fond un homme bon, comme Depp. Là où le film aurait du terminer par la mort de la Du Barry, nous finissons sur un commentaire du narrateur, évidant le film de toute tension dramatique après vingt minutes d'un interminable adieu entre les deux amants et malgré de bons enjeux possibles.

Classique dans sa mise en scène (la scène où Du Barry grimpe les escaliers seule, signes de son ascension), beau et réussi par moment, mais sans direction autre que celle de faire du duo princiers un duo au dessus de la mêlée, Marc Antoine et Cléopatre, mais version autobiographique, le film de Maiwenn est un mélange bizarre, qui fonctionne sans émerveiller, malgré les splendeurs versaillaises. Le sujet est finalement une redite, modernisée, d'un conte féerique au XVIIIème et une variation sur le thème de Marie Antoinette. C'est Barry sans Lyndon.

Tom_Ab
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le 7 juil. 2023

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Tom_Ab

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