« L'âmes des guerriers » est un film impressionnant, c'est certain. Tout d'abord pour sa simplicité, sa manière de présenter une descente aux enfers classique, mais dépourvue de toute circonlocution dès qu'il s'agit de cadrer la violence. Mettant en exergue un abîme social poignant, le film est également un plaidoyer pour les derniers Maoris, anéantis par une Nouvelle-Zélande moderne adoptant un mode de vie occidental. Ce peuple de guerriers n'est plus que l'ombre de lui-même, à l'aube du 21ème siècle. Embrassant intimisme délicat et violence grandiloquente, entre vision de reportage et spectacle rocambolesque, Lee Tamahori imprime sur chaque image un pessimisme transgressif, et cela dès le premier plan du film, où l'on croit voir un magnifique paysage néo-zélandais, avant que la caméra ne recule, dévoilant un triste panneau publicitaire au bord d'une autoroute. Difficile de nier une forme évoquant Ken Loach, bigerant un conte social sidérant de lucidité, reposant sur des émotions dures. Mais là où le cinéaste anglais se contente de mettre au premier plan un témoignage véhiculant un memento de messages, Tamahori préfère trahir sa fois opiniâtre aux moyens cinématographiques.


Œuvre sensitive, « L'âmes des guerriers » met en avant l'autodestruction dans la réalité quotidienne, frappant le spectateur par le savant équilibre qu'il maintient pour le placer à l'extérieur du récit, tout en l'absorbant, avec l'aide de deux méthodes. Premièrement, les discrets mouvements de caméra et la caractérisation de chaque protagoniste y sont pour beaucoup. Dans le deuxième cas, Tamahori livre un film expressionniste, mettant de coté un quelconque regard subtile, sans pourtant s'abandonner à un exercice vulgarisateur, organisant alors une plongée dans un voyage alliant spiritualité et catharsis. Les deux approches faites par le réalisateur ne provoque aucune rupture dans le naturalisme affiché de la narration, mais au contraire, elle se nourrissent l'une de l'autre. La boisson, ainsi que le cannabis, s'avèrent deux composantes étonnamment essentielles dans cet arrière-pays. Les gens la boivent comme de l'eau, le fume comme du tabac, et c'est tout naturellement que ces substances les font planer dans un état régressif impressionnant. Jake, « chef » de la famille sur laquelle est centrée le métrage, est un descendant d'esclaves, niant ses origines et n'éprouvant aucun respect pour ses ancêtres. Mais lui est esclave de la modernité, des bars et de ses poings. Sa femme et ses enfants, eux, préfèrent chercher leurs racines, notamment par la violence purificatrice et le haka. Face au communautarisme de la société moderne, « L'âmes des guerriers » ne se centre pourtant aucunement sur cette histoire tragique, se distinguant via un propos humaniste et universel.


L'engrenage auquel nous assistons est donc bien plus que celui d'une simple famille, mais davantage celui d'une culture oubliée. Il est compréhensible que les néo-zélandais aient pu y voir un portrait sociologique peu flatteur, mais « L'âmes des guerriers », tragédie émeraude, n'est autre qu'un film dans lequel la seule menace est l'homme et l'absence d'estampilles. Ses desseins dépassent largement les contours sociologiques, à faim de constituer un concentré cauchemardesque de la condition humaine. Enfin, pierre angulaire de la réussite du métrage, les acteurs, dont les performances, touchantes et directes, affluent instantanément comme des uppercuts, donnant vie à des portraits d'hommes et de femmes complets. « L'âmes des guerriers » nous dégoute physiquement, en proposant un formalisme de plus en plus insane au fur et à mesure que les personnages perdent pied. Le réalisateur ne fait pas que cadrer, mais accentue toutes les formes d'excès, précipitant un montage atteignant le paroxysme de l'aigreur.


Jusqu'au bout du voyage, rituel et violence nous accompagnent au cœur de la tragédie d'une civilisation perdue, subissant de plein fouet la déchéance sociale, l'emportant doucement dans la folie humaine. S'abstenant scrupuleusement de toute prise de position moralisatrice, Lee Tamahori nous submerge d'émotions, de dégout et de tendresse, pour cette famille bourrelée mais aussi pour ce peuple assassiné. Bestial, primitif, malsain, hypnotique et vertigineux, quand l'homme revient à ses ressources en courant à sa perte.

Kiwi-
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le 22 juin 2016

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