Dans une volonté démonstrative de rendre compte la domination économique, mon premier Bresson m'est apparu grossier. Je n'ose pas dire caricatural car ce qu'il fait entendre est juste... Sauf que dans l'enchaînement du récit, l'ensemble est clairement rudimentaire et simpliste.

L'absence totale d'émotion a parfois le don de provoquer la révolte de notre raison de spectateur. Je pense ainsi à Brisseau, à Kitano ou encore à Kaurismaki. Dorénavant, je ferai référence à Bresson. J'ai comparé ces tons monocordes et ces rapports indifférenciés à ces auteurs... Mais à une différence près. Nulle empathie, aucun transfert émotionnel n'a été opéré dans mon esprit et je sais que cela n'a pas été le cas pour d'autres. A partir de là, je peine à sortir de ma subjectivité devant un film ô combien ciselé pour être objectif. On parle de domination par l'argent, de rapports humains que cette domination engendre. Cela devrait être bien plus objectif de sorte à démontrer le glissement d'un travailleur vers le crime. Déjà, rien que dans cette dernière phrase, je sens comme un hic tellement il n'y a guère de vase communicant. On manque clairement de détermination, de contraintes. Mais ce qui m'interpelle le plus, c'est que nous passons en permanence de cause à effet, dans une logique de surenchère, scène après scène, sans véritablement saisir l'enjeu... Sinon ce titre évocateur qui s'il n'avait pas été aussi clair m'aurait définitivement laissé pantois. Se basant manifestement sur une écriture filmique par opposition au travail d'écriture, force est de constater que cette écriture est peu dense, bien que chaque scène ne soit pas inutile.

Personnellement, jamais je ne me permettrais de faire un récit où le développement apparaît comme une succession d'éléments déclencheurs non développés. Nous restons ainsi, l'air béat et placide, devant une superficie même pas essayiste, devant un film qui glisse et une écriture indifférente comme si cela coulait de source. Il est clair que Bresson ne veut pas chercher à comprendre ce qui encourage ce mécanisme ou à quoi tient cette absurdité abasourdie. Ne rien comprendre aurait pu être un but en soi mais alors, juste une question : où est donc la violence de l'incompréhension ?

"L'Argent" est radical. Moi, j'avais en tête le terme frontal.

Cette primauté de l'image sur l'écriture me revient à une inégalité de traitement. Faut-il rappeler que le cinéma est un art total, qu'il ne permet guère qu'on puisse délaisser un art pour un autre ?

J'aime l'avant-garde mais quand je regarde ce film à l'écrit :

"Un gosse de riche arrive à refourguer un faux billet. Le faux billet passe dans la poche d'un ouvrier qui paie plus tard avec. L'ouvrier est emmené devant la justice, clémente cette fois, mais avec cette affaire, l'ouvrier perd son travail. Comme il perd son travail, il devient au service de la criminalité. La police l'arrête. Il est emmené en prison. En prison, sa femme le quitte. Il tente de se suicider. Il finit par sortir. Quand il sort, il tue un couple d'aubergiste pour leur voler de l'argent. Puis il se réfugie chez une dame qui veut bien. Il tue toute la famille de cette dame et se rend à la police."

Cela a beau être d'avant-garde, c'est terriblement tortueux, bien trop pour jeter son dévolu sur cette manière de faire du cinéma. Pour moi, Bresson s'est égaré et personne ne marchera sur ces plates-bandes.

Et pourtant, j'aurai du aimer ce film. On me critique souvent pour mon économisme et ma promotion des déterminismes sociaux. Mais là, merde. Je ne décolère pas. Je n'ai rien à me mettre sous la dent. Une colère qui se bat avec elle-même. Rien à grailler, rien à ronger.

Et moi, dans tout ça, j'aurai même réussi à ennuyer mon lecteur.
Andy-Capet
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Le bon goût... et le mauvais et Horreurs, crimes & lutte de(s) classe(s)

Créée

le 17 févr. 2013

Modifiée

le 16 mars 2014

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Andy Capet

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