Ce qui est difficile avec cette critique, c’est de faire le tour de ce film sans se commettre dans un spoiler honteux. Néanmoins, spoiler la fin de “L’échelle de Jacob” est à peu près aussi destructeur que “Sixième sens” ou “Usual Suspect”, tant un double visionnage est appréciable une fois la fin découverte.

Jacob Singer, ancien combattant de la guerre du Vietnam grièvement blessé et rapatrié essaie de retrouver une vie normale à New-York. Morne existence, enlisée dans l’échec de son mariage, hantée par le souvenir de son fils Gabe mort très jeune et un boulot de postier qui suffit à peine à lui assurer un appartement dans un immeuble insalubre. Ancien professeur de philosophie démoli par la guerre, Jacob tente tant bien que mal de se reconstruire, soutenu par Jezabel, sa nouvelle compagne et Louis, son chiropracteur. Mais malgré ses tentatives de se maintenir à flot, Jacob commence à être la victimes d’hallucinations où des créatures difformes et grotesques font irruption dans son quotidien et tentent même de le tuer. Il découvre peu après que ses anciens camarades de régiment souffrent des mêmes symptômes.

Difficile de classer ce film dans la catégorie “épouvante” quoi qu’il soit angoissant, les séquences surnaturelles sont relativement clairsemées, survenant dans un rythme - volontairement - haché au milieu de scènes presque “banales”. Presque, puisque la bizarrerie et l’angoisse sont distillées de manière pernicieuse même durant le quotidien gris et amer de Jacob, comme si le monde autour de lui, en pleine déliquescence, se désagrégeait progressivement, à l’instar de sa raison et de ses convictions. Le film nous met réellement dans la peau de Jacob et nous fait partager ses émotions, son trouble, puis sa panique et son incompréhension, provoquant un malaise qui va croissant tout le long du film.

Si la construction narrative peut paraître bordélique au premier abord - flashback, présent, flashback, flashback plus récent, présent, flashback un peu moins récent… - les raisons de cette temporalité éclatée deviennent claires une fois qu’on a vu le film dans son intégralité. Reste qu’on se demande sans cesse ou celui-ci veut nous amener. Malgré ses hallucinations de plus en plus prononcées et malsaines, Jacob ne donne pas le sentiment de perdre les pédales mais davantage d’être en proie à un phénomène qui le dépasse. Le film est truffé de symboliques, un visionnage ne suffirait pas à toutes les analyser ( La scène de “sexe”, la séquence hallucinée de l’hôpital, par exemple) tant elles lui confèrent un côté presque labyrinthique. Pourtant, il reste cohérent du début jusqu’à la fin, parvenant à traiter tous les thèmes qu’il propose, (la guerre, le travail de reconstruction personnelle, le deuil…), un joli tour de force.

Esthétiquement parlant, “l’échelle de Jacob” a été cité à plusieurs reprises comme une référence assumée de la série des “silent hill”. Si le propos est très différent, l’esthétique, les décors et l’ambiance sont clairement communes au film et à la série. Si dans Silent hill ils servent à immerger le personnage dans ses propres turpitudes, dans “l’échelle de Jacob”, ils prennent rapidement une fonction mystique, comme autant de guides. Jacob prétend avoir vu l’enfer, Louis lui répondra que l’enfer ne brûle que ceux qui ne sont pas en paix avec eux-mêmes et que démon et anges sont une seule et même entité. Les références bibliques sont foisonnantes, jusque dans le titre et les nom des personnages . Là encore, un seul visionnage ne suffira pas à en apprécier toute la subtilité. La mise en scène est sobre, presque abrupte par moment mais cela la rend d’autant plus efficace et percutante : la photographie, granuleuse et désaturée rend à merveille la déliquescence progressive du monde de Jacob et ce dés le début, en le faisant déambuler dans un métro qu’on croirait à l’abandon depuis des années. Pas de gore “cosmétique” ou excessif, les hallucinations jouent davantage sur l’apparence difforme et grotesque de ses créatures que sur l’hémoglobine. La musique, toute discrète qu’elle soit sait porter l’ensemble du film et sublime son ambiance.

Outre son ambiance et son esthétique, le film vaut aussi beaucoup pour sa conclusion - que je ne spoilerai pas, vous pouvez poursuivre la lecture - laquelle lui donne un sens totalement nouveau, exemple d’un twist final magistral dont peu de films peuvent se prévaloir. Sur ce plan, “L’échelle de Jacob” était un précurseur, bien avant “Sixième sens”. De film fantastique, il passe à expérience mystique et parvient à proposer un tout autre niveau de lecture. ien que les années ne lui aient pas forcément rendu service et que son contexte historique et culturel puisse le desservir, “L’échelle de Jacob” reste un métrage poignant qui magnifie l’éphémère de l’être humain. Plus qu’un film, c’est une expérience. Et je suis rarement mystique.
SubaruKondo
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Films, Les meilleurs films avec un twist final et Top 10 des scènes de film les plus marquantes

Créée

le 3 sept. 2014

Critique lue 507 fois

SubaruKondo

Écrit par

Critique lue 507 fois

D'autres avis sur L'Échelle de Jacob

L'Échelle de Jacob
Torpenn
3

Péché de Genèse

Fidèle à leur passion pour le Vietnam et les traces indélébiles qu’il a pu laisser dans le crâne des vétérans, Mario Kassar et Andrew Wajna en remettent une couche huit ans après Rambo et ont la très...

le 17 juin 2013

63 j'aime

14

L'Échelle de Jacob
guyness
8

Starway to Heaven

Quand on est un poil fan de cinoche, on s'attache aux carrières des réalisateurs. Souvent, ça ne trompe pas: c'est soit plutôt très bon (bon, on admet les erreurs de parcours hein ?) soit...

le 13 avr. 2011

57 j'aime

20

L'Échelle de Jacob
Pipomantis
8

MIEUX QUE LE FILM SILENT HILL OLOLOL.

Et pourtant je l'aime beaucoup le film Silent Hill. Mais bon, il n'arrive juste PAS à la cheville de Jacob's ladder, film ayant influencé la saga vidéoludique de telle manière que c'est...

le 25 juil. 2010

47 j'aime

7

Du même critique

Batman & Harley Quinn
SubaruKondo
3

Tu vieillis, Bruce...

Vous, je ne sais pas, mais moi, l'Harley Quinn originale, celle de la série des années 90, me manquait beaucoup : transformée au fil des comics, jeux vidéos, anime et film en pute nymphomane pour...

le 17 août 2017

16 j'aime

Yuri!!! on Ice
SubaruKondo
7

Rouler des patins

Le Japon et les séries sportives, c'est une relation longue durée : après nous avoir offert des anime inoubliables sur le volley, le tennis, le foot, la natation, le tennis, la GRS,le karaté, le...

le 23 déc. 2016

15 j'aime