25 ans. C’est donc le temps qu’il aura fallu pour, qu’enfin, Terry Gilliam achève son projet maudit : L’Homme qui tua Don Quichotte. Ces années de rebondissements et de malheurs auront duré jusqu’au bout, aboutissant sur la symbolique et acclamée projection du film en clôture du Festival de Cannes 2018. Ce film était d’ores et déjà un mythe du cinéma, faisant partie des projets inachevés surtout connus pour leur histoire en tant que projet plus qu’en tant que film. En conséquence, sa sortie tant désirée fut à l’origine de grandes attentes de la part des cinéphiles, et il est donc, enfin, temps de parler de ce film déjà mythique quoi qu’il arrive et quoi qu’on en pense.


Quand on va voir un film de Terry Gilliam, on sait que l’on ne va pas voir quelque chose d’ordinaire. Il a toujours su se distinguer par son style particulier et son imagination débordante, avec, par exemple, son Brazil oscillant entre science-fiction et fantastique, ou son puzzle temporel complexe dans L’Armée des 12 Singes. Et les premières images et bande-annonce de L’Homme qui tua Don Quichotte annonçaient bien un film dans cette lignée. Terry est sur son terrain de jeu, adaptant un roman inadaptable, s’offrant la possibilité de laisser libre court à son art, se nourrissant de l’univers de l’œuvre de Cervantès, lui associant la satire de Mark Twain, et y ajoutant son grain de folie si appréciable.


Avec L’Homme qui tua Don Quichotte, Terry Gilliam nous embarque dans un trip bigarré et baroque très personnel, où l’on sent que le cinéaste raconte son histoire à lui, ainsi que celle de son film. On ressent, en effet, dans le récit, la présence des longs rebondissements qui ont abouti à la sortie du film, et qui semble ici avoir influé sur le scénario, lui donnant un quelque chose en plus dans son aspect mythologique. Dans son film, Terry Gilliam associe le mythe de Cervantès et son propre mythe, qui se mélangent et se répondent dans un délire encore plus poussé qu’imaginé, ou l’on est facilement perdu et invité à se laisser aller. Mais Terry n’hésite pas à assumer et à donner vie à ce joyeux bazar cinématographique.


L’Homme qui tua Don Quichotte est un film imparfait, irrégulier, avec, notamment, une seconde partie bien plus poussée et séduisante que la première. En effet, Terry Gilliam fait encore preuve de belles fulgurances en termes de mise en scène et de bonnes idées, tout en freinant parfois le pas dans des séquences plus anecdotiques. Naturellement, il semblait difficile de parvenir à réaliser un coup d’éclat sur plus de deux heures de film, mais la force du dernier acte, tenue sur une longue durée, laisse à penser que Terry pouvait y aller encore plus fort. Toutefois, cela n’empêche pas le film de bien retranscrire le message et la pensée du cinéaste, tout en adressant un message universel.


L’Homme qui tua Don Quichotte est une vaste satire où les mœurs volent en éclat. Le seul personnage réellement innocent dans l’histoire, « Don » Javier « Quichotte », est tourmenté par la folie, provoqué par tout cet univers qui lui est étranger et avec lequel il est en décalage. C’est un immense cirque, rappelant le chemin de croix du cinéaste et la construction de son film qui, pendant 25 ans, l’a plongé dans le doute. Ici, l’artiste, représenté par le personnage de Toby, est entraîné dans sa propre œuvre, elle le dépasse, elle le hante, comme ce fut le cas avec Terry Gilliam et L’Homme qui tua Don Quichotte. Et si Terry Gilliam raconte en grande partie son histoire, c’est aussi un film qui parle à tous, le personnage de Don Quichotte ayant, en nous tous, une résonnance authentique et profonde.


La principale clé dans l’appréciation du film est surtout de voir L’Homme qui tua Don Quichotte non pas comme un film qui a nécessité 25 ans de travail pour être développé, mais bien un film qui aura mis 25 ans pour enfin être mis sur pellicule, ne l’oublions pas. Ce n’est pas pareil, surtout au niveau des attentes. L’Homme qui tua Don Quichotte est donc, en définitive, une joyeuse allégorie du monde du cinéma, avec ses artistes et ses hommes d’affaires, mais il nous concerne nous aussi, car nous sommes tous et toutes des Don Quichotte, nous sommes les héros de nos vies, avec nos angoisses et nos rêves. Quixote Vive !

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le 8 juin 2018

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