Intéressant et radical, mais trop long, manichéen et pleurnichard

Alors que la capitale célèbre le 150ème anniversaire de la Commune de Paris, retour sur l’un des films les plus emblématiques de cette fameuse insurrection populaire : La Commune (Paris, 1871) du réalisateur britannique Peter Watkins.


Diffusé en 2000 sur la chaîne de télévision Arte dans ce qui est sa version originale et intégrale, le film s’avère, aujourd’hui encore, hors-norme à bien des égards : par sa durée impressionnante (avoisinant les six heures) déjà, par son noir et blanc et sa distribution quasi-intégralement composée d’acteurs non professionnels ensuite ; mais aussi et surtout par son discours engagé et son traitement atypique – et par certains aspects anachronique – de l’évènement historique dont il est question : l’insurrection pendant soixante-douze jours d’une partie du peuple de Paris, suite à la défaite française face à la Prusse et à l’élection d’un nouveau gouvernement majoritairement monarchiste.


Des faits historiques que Peter Watkins s’applique à présenter (ou à rappeler) à ses spectateurs tout au long de son documentaire-fiction, en fait émaillé de très nombreux intertitres explicatifs – et ce dès son ouverture :


« La guerre franco-prussienne, déclenchée en juillet 1870, provoque la chute de l’Empire de Napoléon III. En septembre, un Gouvernement de Défense Nationale essentiellement composé de républicains modérés prend le pouvoir pour tenter de continuer la guerre. C’est un échec.


Le Gouvernement de Défense Nationale signe un armistice, contre la volonté des parisiens. Les allemands récusent sa légitimité et exigent l’élection d’un nouveau gouvernement pour la signature d’accords de paix. Les élections de février 1871 ramènent une très large majorité de monarchistes au pouvoir.


Le mécontentement des parisiens s’exprime de plus en plus ouvertement dans ce que certains appellent les « clubs rouges ». L’installation de comités d’arrondissement, en septembre 1870, concrétise ces revendications en un contre-pouvoir qui plonge Paris dans un climat pré-révolutionnaire. »


Ces trois paragraphes – trois cartons successifs – sont les premières images du film, qui ne manquera pas, par la suite, de ponctuer régulièrement ses longues séquences de dialogues par d’autres intertitres contextualisant systématiquement les scènes se jouant devant les yeux du spectateur et décrivant pas à pas la progression/chronologie de ces évènements qui se sont déroulés à Paris du 18 mars au 28 mai 1871, fin de la Semaine sanglante et par là même de la Commune de Paris (exception faite du fort de Vincennes, qui se rend le lendemain).


Brisant le quatrième mur, deux des acteurs se présentent ensuite, et avec eux leurs personnages respectifs – deux journalistes – ainsi que les coulisses et les décors de ce film. Puis nous invitent à nous plonger avec eux dans cette page de l’Histoire française :


En opposition aux journalistes de la télévision – vous avez bien lu ! – versaillaise (à la botte du gouvernement de Versailles, donc), dont les interventions constellent ponctuellement le récit, le spectateur est plutôt prié de suivre les deux journalistes de la télévision communale qui, un jour de mars 1871, s’en vont à la rencontre du peuple de Paris insurgé ; et en l’occurrence du sous-comité révolutionnaire du 11e arrondissement (quartier alors très pauvre et dur à vivre). L’emphase mise sur ce sous-comité particulier permet en réalité de brosser un portrait plus général de la Commune.


Ces journalistes y rencontreront – et le spectateur avec eux – toute une galerie de personnages divers et variés : de l’écrivain public à la couturière en passant par les petits ouvriers, artisans et commerçants ; les institutrices et leurs écolières ; les hommes d’église, les sœurs et leurs ouailles ; ou encore les soldats dissidents (qui refusent, le moment venu, d’engager les hostilités contre une partie de la population parisienne). Tous ces citoyens, du plus érudit au plus modeste, ont ici voix au chapitre.


Tous établissent d’abord le même – terrible – constat : depuis plusieurs mois maintenant, les Parisiens se meurent de faim. Hommes, femmes et enfants. Six mois de siège par les Prussiens les ont conduits à endurer le froid et la famine. Quand certains ne tiennent désormais plus que grâce au pain, d’autres en sont réduits à manger des racines voire des rats. Les commerçants sont endettés, les autres sont au chômage. On s’éclaire à la chandelle. Les enfants traînent dans le caniveau…


Une fois ce désastreux constat par tous opéré, ces personnages nous ouvrent leur cœur et nous partagent leurs espoirs : tous veulent du pain – naturellement ! – mais aussi du travail. De quoi gagner leur croûte, en réalité. De quoi leur assurer une vie décente, de la dignité. Mais aussi et surtout une éducation et un avenir meilleur pour leurs enfants.


Mais s’ils souhaitent tous retrouver du travail, aucun d’entre eux ne souhaite revivre celui qu’ils ont connu et tel que conçu jusqu’alors – vu comme une aliénation. Le travail ne doit plus être une fin en soi, mais un moyen, pour inventer d’autres modes de vie, plus heureux.


Aussi tiennent-ils tous le même discours : les choses doivent changer ! Les patrons ne peuvent plus, ne doivent plus se reposer sur les travailleurs. Travailleurs qui se doivent quant à eux de s’affranchir de l’asservissement dans lequel ils se trouvent, et cela passe par un seul moyen : devenir les propriétaires de leur outil de travail et ainsi les maîtres de leur production. Ceci afin de toucher directement les bénéfices de ce qu’ils produisent ! Un changement de paradigme qui ne peut passer que par la création de coopératives.


Beaucoup d’entre eux rejettent au passage la religion et expriment leur souhait que leurs enfants (pour ceux qui en ont) aient une éducation autre que religieuse. Qu’ils apprennent, plutôt qu’à prier, à lire, écrire et compter pour être libres.


Et ainsi… ce sous-comité révolutionnaire du 11e arrondissement devient rapidement le lieu des débats les plus vifs, les plus passionnés, les plus inspirés, entre les nombreux communards. Tous unis contre Versailles, on y a des points d’accord sur de nombreux sujets mais aussi de nombreuses dissensions et divergences d’opinions. On discute et on se déchire concernant la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’intégration des femmes aux champs d’opération ou bien le projet d’une descente armée à Versailles afin d’en chasser ceux qui se déclarent les élus du pays et ont la prétention de gouverner la France ! Les idées fusent, tourbillonnent. Chacun formule ses idéaux. L’exaltation des uns se mêle à l’enthousiasme des autres et la panique des derniers, les quelques privilégiés craignant pour la pérennité de leur pouvoir.


Car si pour les premiers, Commune rime avec espoir, pour d’autres cette insurrection rime avec désordre, terreur et crime – ce que la République ne peut pas accepter ! Aussi les communards sont-ils accusés par certains d’être des fauteurs de trouble, des vandales, éventuellement manipulés par des forces étrangères souhaitant déstabiliser la France. Difficile en effet d’ignorer les dérives du mouvement : dénonciation des bourgeois et des réfractaires, culpabilisation de ceux refusant de se battre, rejet et intimidation des journalistes… la révolution ne se fait pas sans heurts.


Et lorsque l’armée régulière tente, sur ordre d’Adolphe Thiers – le chef du pouvoir exécutif resté à Paris avec son gouvernement – de récupérer par la force les canons détenus par la Garde Nationale sur la butte Montmartre, leurs troupes font défection et les deux officiers commandant la manœuvre sont exécutés, entraînant en représailles la mise à mort de prisonniers par les Versaillais. Le cercle vicieux est enclenché, l’escalade de la violence amorcée : c’est la guerre.


Et alors que Thiers, ferme partisan de l’ordre, prépare l’écrasement de la révolte parisienne, les débats se poursuivent au sein du sous-comité révolutionnaire du 11e arrondissement. On discourt, on réinterroge, mais on s’organise, aussi. L’autogestion se déploie. Un autre mode de vie et d’organisation voit le jour. Les communards se voient pour certains attribuer des tâches administratives. On célèbre le premier baptême républicain. Le projet prend vie.


Le film fait d’ailleurs la part belle aux femmes, qui elles aussi s’organisent entre elles. Pour s’émanciper (de leurs hommes comme de l’Église) et se construire une voix politique pérenne, ces dernières s’organisent en comités et se créent une gazette féminine : ces femmes souhaitent gagner des salaires décents et égaux à ceux des hommes, mais aussi s’offrir du temps de loisir et pour les enfants. La défense de Paris et l’avènement de la révolution sociale tant souhaitée s’accompagnent pour elles du combat pour leur émancipation.


La Commune (Paris, 1871) déploie ainsi, pendant presque six heures, ces longues séquences d’interventions et de discussions entre ces différents communards – régulièrement ponctuées, donc, d’intertitres explicatifs.


Des dialogues et des événements sont par ailleurs mis en perspective aux lumières de l’an 2000, au détour de certains échanges – du coup anachroniques – évoquant l’héritage de la Commune (succès ? échec ?) cent-trente ans plus tard, mais aussi des sujets tels qu’Internet, les médias de masse ou même l’industrie cinématographique. Les acteurs de cette Commune sortent alors de leur rôle pour commenter avec leur regard contemporain le film, son message, la Commune de Paris et ces quelques sujets en particulier.


Le film de Peter Watkins est, ainsi, un morceau de cinéma pour le moins radical : autant un film-fleuve sur la Commune de Paris qu’un commentaire sur l’industrie cinématographique actuelle (dont il déplore le formatage et l’allégeance au modèle hollywoodien dominant) et qu’une réflexion sur le rôle des « mass media » dans la société d’hier et d’aujourd’hui. Par la voix de ses personnages, le réalisateur dénonce le pouvoir de ces médias tout-puissants, mais aussi le système éducatif, le mercantilisme et les diverses élites… Faisant de La Commune (Paris, 1871) un film éminemment politique. Un brûlot anticapitaliste autant qu’un documentaire sur cette formidable insurrection populaire.


Dommage que ce soit trois fois trop long, aussi manichéen que la représentation qu’il fait du camp adverse et que Watkins se victimise régulièrement (par la voix de ses personnages comme par des intertitres) au cours du film, sur le mode « ouin ouin, personne n’a voulu financer ce film », « ce film a failli ne pas exister », « ma voix dérange », etc. Sérieusement… j’imagine que c’est destiné à révolter le spectateur, mais perso, ça m’a fait de la peine plus qu’autre chose. Un peu de dignité, quoi…

ServalReturns
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le 5 juin 2021

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