Il y a souvent chez Kieslowski un obstacle presque invisible, du moins aux contours incertains, qui me freine dans mon appréciation. Difficile d'y mettre des mots, mais s'il fallait l'expliciter ce serait à chercher du côté d'un certain chaos narratif et d'une certain maniérisme dans la mise en scène, ces deux aspects n'étant pas intrinsèquement mauvais : c'est une question de dosage et de ressenti. Mon ressenti, c'est ce sentiment persistant qu'on en fait trop dans la suggestion, et qu'au lieu de laisser volontairement le champ libre à l'interprétation en laissant autant de terres en friche, ce soit involontairement l'arrière goût amer de l'inachevé qui prenne le dessus. Je dis cela sans véritable conviction, sans véritable fondement, c'est une simple constatation devant une œuvre qui n'aura eu de cesse de me filer entre les doigts.


La volonté de réaliser un film insaisissable me paraît évidente. Sur le papier, j'aime beaucoup l'idée du conte existentiel en deux temps, avec une narration presque hypnotisante pour relier deux êtres par des connexions infinitésimales, floues, et pourtant presque transcendantales. D'un côté une femme en Pologne qui subit, qui plie sous le poids de la vie, et de l'autre une femme en France qui résiste, qui bénéficie de l'expérience de son alter-ego. La proposition du film, selon laquelle le hasard modèle l'identité autant que la présence d'une certaine altérité, est très forte. La fin du film est un beau retour aux sources (on se croirait presque chez Herzog, et plus précisément en présence de Fini Straubinger). Les parallèles entre les deux existences sont par contre un peu moins bien explicités, à mon sens : si la première rencontre (la vision du bus) délivre un bel électrochoc, la deuxième (la vision des photos) n'est pas à la hauteur du concentré émotionnel qu'on aurait attendu. Les symboles ne m'ont pas paru très éloquents non plus, entre la bague en or passée sur l'œil et le théâtre de marionnettes comme allégorie de la (dualité de la) vie, ou encore l'histoire du four (la brûlure de l'une devient une sorte de prescience chez l'autre) pour enfoncer le clou.


Le passage d'une vie à l'autre, dénué de métaphysique et de métempsychose mais chargé de sensibilité, a pourtant quelque chose de fondamentalement passionnant. La construction d'une identité dans de telles conditions, aussi, au fil des épreuves, des rencontres et des actes sensuels. Il me manquera tout de même quelques réponses ou éléments de réponse à toutes ces pistes ouvertes et questions laissées en suspens : si j'ai beaucoup aimé les divagations offertes par le film, un certain pragmatisme rationnel aura fait défaut pour une adhésion plus complète. Comme si je n'étais pas parvenu à lâcher prise, comme si j'avais buté sur une certaine artificialité avant de pouvoir m'émouvoir.

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le 24 avr. 2017

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Morrinson

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