« Le Festival a connu sa journée la plus dégradante et la France sa plus sinistre humiliation »


Se pencher sur le cas de La Grande Bouffe revient à sonder le trou de bal de la presse et la société puritaine de l’époque particulièrement agacé par cette farce provocatrice et morbide de Marco Ferreri. Difficile de ne pas y voir une charge particulièrement corrosive et obscène du système, le fait est que le réalisateur savait très bien où il mettait les pieds lorsqu’il a foulé le tapis rouge du festival de Cannes en 1973. Les insultes, bousculades, agressions et quolibets ne feront que renforcer la blessure d’un public se sentant particulièrement offensé par cette représentation crapuleuse où 4 nanti du 16ème arrondissement de Paris s’enferment le temps d’un week-end dans un manoir pour copuler et s’empiffrer comme des ogres avant de succomber les uns après les autres dans l’opulence orgiaque d’un festin pantagruélique. Ça m’a rappelé mes années en tant que larbin d’un 4 étoiles où je devais servir du vin et des côtes de bœuf saignantes à l’un des Weinstein du BTP à 3 heures du matin pour contenter ses excentricités et fringales nocturnes qui se finissaient avec une bouteille de Get 27 et des cigares cubain dans le fumoir du bar, toujours une blague scabreuse sur le bout des lèvres, quand ce n’était pas une main au cul des serveuses. Des beauferies qui se solderont quand même par un triple pontage coronarien qui le tiendront éloigner un moment de l’hôtel. Mais le fait est qu’il n’y a pas forcément besoin d’être riche pour se sentir visé, en réalité le film s’apparente surtout à une satire de la société de consommation et de nos jours cela reviendrait tout simplement à mater des vidéos Tik-Tok sans jamais s’arrêter de becqueter entre un KFC, des pots de crèmes glacés et des paquets de barres chocolatés.


Seulement à sa sortie, le film de Ferreri était vécu comme un attentat à la pudeur, un crime contre les élites intellectuelles qui n’y ont vu qu’une ébauche grotesque se complaisant dans l’excès avec la finesse d’un WC débordant de diarrhée. Pourtant La Grande Bouffe est clairement une oeuvre de caricaturiste qui n’a pas que pour but à faire parler de lui par les polémiques qu’il engendre dans la presse médiatique. Il évoque d’ailleurs par sa vulgarité licencieuse la BD Gros Dégueulasse d’un certain Jean-Marc Reiser l’un des fondateurs du magazine culte et satirique Hara-Kiri même si cette bande dessinée ne sortira de terre qu’une dizaine d’année plus tard avant d’être porté au cinéma. Les acteurs de cet outrage qui portent d’ailleurs tous leur prénom dans le film furent bannis durant quelques temps des meilleures restaurant de la capitale pour avoir daigné participer à cette comédie potache. Philippe Noiret y interprète un gros bébé cadum souffrant d’un gros complexe Oedipien, meneur éloquent pourtant soumis à l’autorité d’une nourrice auquel il tète les seins avant de préférer ceux d’une institutrice qu’il va demander en mariage avec le même pathos que Raymond Domenech face caméra après l’élimination de l’Equipe de France à l’Euro 2008. On retrouve également un Michel Piccoli pédant et hautain, palabrant des phrases en latin en dégustant son gros boudin, pétant à tue-tête et en tutu, mélangeant le culte du raffinement à celui de la grossièreté à l’image de ce pull rose dégueulasse qu’il arbore en parfait cochon de lait. Coproduction Franco-Italienne oblige, notons la présence de deux titis parisiens d’origine latine, d’abord il y a ce bougre de Marcello Mastroianni qui incarne probablement le personnage le plus trituré d’esprit, le plus pervers et macho aussi. Il bande plus pour sa Bugatti que pour les prostitués qu’il a voulu imposer au dîner ou que pour la cuisine généreuse de l’affable Ugo Tognazzi, le chef cuisinier de ce suicide collectif, imitant mieux que quiconque Marlon Brando dans Le Parrain pour divertir les copains entre un civet de lapin et une tarte fourrée à l’anus de cochonne mal lavée.


« Manges, manges tu ne sais pas qui te mangeras. »


Pour soulager la congestion des synapses, les parangons d’ânerie et citations ringardes égo-snobinardes, Ferreri a le bon goût de ne pas tergiverser bien longtemps pour réduire cette petite oligarchie à sa plus simple expression. Si cette caste de gens paraît aussi intelligente, cultivée, raffinée, et sujette aux mœurs dites «européennes », le portrait en public préalablement esquissé va très vite se morceler pour mieux révéler leur vanité et leur véritable caractère de gros porcs, creux et inintéressant. L’art dont il chantait les louanges ne sera qu’un vulgaire passe temps superficiel dont ils vont très vite se lasser comparé au plaisir de manger et de baiser comme des animaux. Ce besoin associé au désir animal va les faire régresser, perdant au passage la faculté d’apprécier les petits plaisirs simples de la vie par écoeurement et satiété mélancolique. L’argent ne fait pas le bonheur, combler le vide en se remplissant ne fera pas de vous des êtres plus épanouis. Mais l’appétit vient en mangeant, et rien de tel que de soigner le mal par le mal en se gavant de purée pour chier comme un éléphant. Ça passerai peut-être mieux avec un peu de salade, et un zeste de bicarbonate pour se rincer le gosier. À peine remis que les voilà reparties à s’en faire dégueuler des plâtrées de pâtes et de crêpes suzette arrosé de Grand Marnier. Ça ne s’arrêtera jamais de bouffer parce qu’il ne faudrait surtout pas gâcher. Il vous faudra avoir le coeur et l’estomac bien accroché pour apprécier La Grande Bouffe à sa juste valeur. Cela vous fera un peu l’effet d’un gros pet tout gras lâché au milieu d’une nuit hivernale après un repas trop copieux. Cette plaisanterie grasse et crasse accentuée par les calvaires digestifs et les flatulences organiques dérape vers la tragédie lorsque Michel Piccoli ira jusqu’à péter si haut et fort en gelant la note sur son piano que son âme finira par quitter son corps, et ses excréments souiller son pantalon. Les cadavres s’accumulent dans la chambre froide soulignant l’effroi et l’absurdité de cette orgie démesurée. Manger et baiser, voilà les deux seules choses qui importent, se vautrer dans son canapé comme une baleine échoué sur les plages normandes en attendant la mort. C’est peut-être ça finalement le véritable sens de la vie.

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le 5 janv. 2024

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