La Sirga
5.6
La Sirga

Film de William Vega (2013)

On pourrait croire qu’un cinéaste a deux choix quand il choisit de faire un film avec la guerre : soit il se fascine sur la guerre, soit il la dénonce. Mais il a un troisième choix, en vérité. Celui de ne pas mentionner la guerre, mais de l’intégrer. Dans ce concept, on y retrouve les films où les personnages subissent les conséquences de la guerre. C’est ce qu’a voulu faire William Vega ici. Avec sa première scène, sa première image, le cinéaste colombien nous dit que c’est la guerre; C’est la seule image de guerre tragique de tout le film. Cette image nous fait comprendre que le récit à venir se déroule en pleine guerre.

C’est assez brut et radical comme première image, c’est vrai. Mais cela est dû à l’absence totale de la guerre durant le film. Nous parlons ici d’absence physique. Car la guerre est belle et bien présente dans les esprits des personnages. La preuve, la jeune Alicia quitte son lieu de résidence et s’exile dans une demeure très isolée. Elle se met à l’écart, moralement très blessée par les événements. C’est donc le fil conducteur de tout le film : le traumatisme dû à la guerre.

Même si cela n’est jamais mentionné, même si cela n’est jamais montré physiquement, le cinéaste colombien nous filme une jeune demoiselle dont chaque acte est significatif. Tout acte, toute parole sont liés aux événements. L’absence physique de la guerre ne fait qu’accentuer les peurs des personnages, et manifester sans cesse leurs envies. Cette absence physique sera la peur de l’arrivée possible des ennemis. Alicia fuit alors sa vie de tous les jours, là où elle a tout perdu. Et va tenter de se reconstruire, dans cette demeure.

Pour dire quelques mots sur cette demeure, elle représente parfaitement l’histoire même du film. Et même mieux, je dirais La Sirga es como la vida (c’est de l’espagnol : La Sirga est comme la vie). Comme la vie dans le sens où un lac et la brume l’entoure. Noyée dans les frontières et plongée dans l’inconnu de l’inattendu. De plus, cette volonté des personnages (surtout Alicia, qui reste le personnage principal puisque qu’on suit avant tout son destin) de reconstruire la demeure, vient comme une manière de vouloir se rebatir soi-même. De repartir de zéro. Une façon d’oublier tout le désastre actuel, toute la poussière qui nous entoure, pour mieux repartir du bon pied et sous un beau soleil.

Il faut dire que William Vega fait constamment dans le hors-champ. Alors tout devient métaphorique. Et puisque tout est métaphore, le cinéaste colombien est obligé de jouer la retenue. Comme dit précédemment, chaque action et chaque parole sont dictées par cette pression de la guerre. Mais le problème est, qu’à force de trop jouer la retenue et se focaliser sur les conséquences traumatiques, William Vega va tourner en rond. Une fois, deux fois, trois fois, etc… Le récit d’un traumatisme post-guerre va se transformer en chronique de personnages juste troublées. A force, on arrête de compter les scènes où Alicia fait la cuisine.

Mais ce n’est pas pour autant que William Vega ne sait pas filmer ses acteurs. A croire que la retenue et ces retour constants sur les métaphores étaient trop volontaires. Tout simplement pour mieux se concentrer sur la mise en scène et sur la caméra. Il se dégage une certaine ambiance froide et timide dans les mouvements de caméra, qu’on pourrait croire que le cinéaste et Alicia ne font qu’une seule et même personne. A noter que ces mouvements de caméra sont très beaux, très fluides et très intelligents. Mais, encore une fois, ce n’est pas parce que la caméra bouge que ça donne l’impression de mouvements chez les personnages.

En plus de la retenue, les acteurs sont statiques. Les personnages subissent très peu de mouvements. Alors si c’est pour pousser le traumatisme à une peur sensorielle, c’est totalement vain et horrible. Mais ne jugeons pas trop vite et restons en au simple fait. C’est la caméra qui produit les mouvements : quand elle bouge, les acteurs sont fixes. Quand elle s’arrête, les acteurs bougent un peu (juste pour faire deux/trois mètres maximum). Ensuite, bienvenue les ellipses : tel le somnambulisme de l’un des personnages. Prise d’inconscience, révélation très timide et courte de la profondeur des personnages.

Finalement, La Sirga est un film qui joue dans la retenue. Le cinéaste colombien, William Vega, se sert de cette retenue (et de son équivalent formel, le hors-champ) pour dérouler un tas de métaphores. Tout est dans le non-dit, car il est simplement question de montrer un traumatisme face à une guerre qui est absente physiquement. Avec des acteurs très bons mais trop statiques, le cinéaste privilégie son appréciable réalisation à la fois fascinante et timide. Tout ceci afin de parler d’un groupe de personnages qui tentent de se reconstruire face aux difficultés brumeuses de la vie.

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Auteur : Teddy
LeBlogDuCinéma
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le 26 juin 2013

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