Les histoires de détective privé au cinéma, il y en a eu un bon nombre, et la plupart respectent une codification héritée des films et des romans noirs d’antan. Et, dans ce domaine, la référence ultime reste le personnage de Philip Marlowe, enfanté par Raymond Chandler. Avec lui, c'est tout un univers qui est créé, voire fantasmé, fait de personnages pittoresques, de femmes fatales ou encore d'intrigues nébuleuses. The Big Sleep date de 1939, et influencera plusieurs générations de romanciers et de cinéastes. Ainsi le privé Harper, que l'on découvre à l'écran dans le bien nommé Harper en 1966 et dans The Drowning Pool, n'est rien d'autre qu'un descendant de Marlowe. Seulement ici, c'est Paul Newman qui prend la suite de Bogart, et c'est ce qui donne tout son intérêt au personnage.


Le premier opus avait bien agréablement introduit le personnage mais il lui manquait un véritable réalisateur pour donner un peu d'ampleur et de piquant à l'histoire. Adapter un livre au cinéma n'est pas une chose aisée et demande un minimum de savoir-faire. Heureusement, ici, c'est Stuart Rosenberg qui se glisse derrière la caméra et il avait déjà signé une bien belle adaptation de roman avec Cool Hand Luke et déjà avec Newman ! Il repère vite les errements du premier film et il va s'employer à les corriger immédiatement. Sa plus grande réussite est d'avoir délocalisé l'histoire à la Nouvelle Orléans et d'avoir très bien su tirer parti de cet environnement si particulier pour nourrir son film. Ainsi l'ambiance de la région, sa torpeur comme sa moiteur contribuent à créer un climat légèrement malsain qui sied agréablement bien au film noir. On s'éloigne de l'ambiance un peu aseptisée du film précédent pour se rapprocher un peu plus de l'ambiance pesante du film de Hawks. Ce n'est pas mal du tout, certaines scènes sont d'ailleurs délicieusement prenantes, même on pouvait espèrer une ambiance un peu plus malsaine ou poisseuse. Un exemple parmi tant d'autres, lorsque Harper rencontre la belle-mère d'Iris au début de l'enquête, on n'est pas loin de rejouer la fameuse scène de la serre de The Big Sleep ; seulement ici, l'intrigue va immédiatement inhibée toute perversité... Mais outre cette ambiance du Sud, Rosenberg s'approprie bien les spécificités locales comme ces vieilles familles qui contrôlent la région, et qui se battent entre elles pour conserver leurs privilèges ou en gagner de nouveaux. L'intrigue, tortueuse comme il faut, reprend ainsi ces petites guéguerres locales et joue astucieusement sur l'aspect "secret de famille" pour nourrir un peu de suspense, rendant le tout certes classique mais plutôt passionant.


Mais comme dans tout bon polar, l'intrigue policière passe au second plan et laisse la place à l'ambiance et aux personnages. Paul Newman endosse avec beaucoup de classe son costume de privé, et son show n'est pas loin de valoir celui de Bogey avec Marlowe ! Notre homme se promène dans cette région du crime avec un flegme à toute épreuve, mâchonnant nonchalamment son chewing-gum et balançant des petites blagues qui n’amusent que lui, il est devenu l'incarnation du privé dans toute sa splendeur. Mais l'homme à une éthique, seule la découverte de la vérité compte pour lui et rien ne pourra le détourner de sa quête. Ainsi, c'est avec une constante décontraction qu'il passe outre les pots-de-vin ou les intimidations, et qu'il parvient à s'extirper des situations les plus improbables ! C'est un vrai plaisir de le voir mener une enquête, dont on se moque rapidement du résultat, et surtout de le voir faire face à une belle brochette de femmes fatales : Que ce soit la mélancolique Joanne Woodward, l'épicée Linda Haynes ou la lolita Melanie Griffith, toutes vont essayer de détourner notre privé de sa route. Mais notre preux chevalier ne cédera pas, restant imperturbablement concentré à sa tache... quel homme, quand même !

Créée

le 18 juil. 2022

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Procol Harum

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