La Traque
7.5
La Traque

Film de Serge Leroy (1975)

Débarrassé des clichés de la France Profonde et de sa populace de cutéreux abruti, La Traque de Serge Leroy fait figure de véritable réquisitoire contre la chasse et une petite oligarchie de notable tout permis. Sam Peckinpah traitait peu ou prou du même sujet tabou quelques années plus tôt avec Les Chiens de Paille avec un viol sauvage commis par des ruraux avant que le film ne bascule dans le survival et le règlement de compte mano à mano. Oh oui, il y a bien quelques crétins pour noircir le tableau c’est bien vrai, du genre à faire beaucoup de bruit et à boire plus de coup qu’ils n’en tirent. L’histoire se déroule en Normandie, mais aurai tout aussi bien pu se passer dans les forêts de l’Argonne que j’ai bien connu, territoire de jeu préféré de quelques personnalités franc-maçonnique très influentes et parmi eux, ceux que je surnomme depuis des années les « Weinstein du BTP ». Le film est composé d’un casting de premier plan, ce qui aurai normalement dût assurer son succès, malheureusement celui-ci était peut-être trop en avance sur son temps au vu de la teneur du sujet. La description faite de ce contingent issue de différentes strates sociales est assez représentatif des personnalités qui peuple le monde de la chasse. Il y a des nanti issue de l’aristocratie mais également des rustres du terroir et des prolots comme les frères Danville, ferrailleur de métier qui sont parvenu à faire leur trou pour s’inviter à la table des puissants.


En préambule de la battue, il y a donc la réunion amicale dans la traditionnelle cabane de chasse où les bourgeois taillent le bout de gras, passent du coq à l’âne entre simple trivialités et business respectifs. Malgré leur amitié, il y a des jalousies, des propos médisant, on lorgne sur les titres de propriété de son voisin, ce genre de conversation replace les sempiternelles concours de bites dans la réalité du monde provincial. La description des différentes personnalités aurait pu aisément tomber dans le piège de la caricature mais il n’en est rien, parce qu’ils sont interprétés de manière la plus authentique qui soit sans aucun artifice de mise en scène. La photographie documentaire évoque d’ailleurs les vieux reportage du type Strip Teas, ce qui ne fait que renforcer la sensation de malaise et le naturalisme du film. Et si certains s’intéressent au sanglier, les frères Danville eux mettront la main sur un autre type de gibier : une touriste anglaise qui aura eu la mauvaise idée de s’aventurer dans le bocage normand.


La Traque échappe au voyeurisme tendancieux des films d’exploitation, parce qu’il n’est pas question de se livrer à une mécanique de prédation et de vengeance, mais bien de montrer tous les tenants et aboutissants d’un drame champêtre avec l’esprit franchouillard et satirique d’un Chabrol. La violence du sujet abordé suffit à scandaliser sans qu’il soit nécessaire d’en rajouter, et à ce titre la scène du viol n’est en aucun cas érotisé, mais bien montré crûment afin d’en souligner le caractère abjecte et sournois. L’apathie, l’amertume et les regrets succèdent à l’effet de choc. Comme un pâturage immaculé par la rosée matinale qui serai souillé par des empreintes de bottes pleine de boues. L’histoire aurait pu s’arrêter là, sous la passivité affiché par un assureur chétif mais la victime en décidera autrement en retournant son arme contre l’un de ses agresseurs avant d’être elle-même touchée par un tir de fusil. Dès lors, il ne sera plus possible de revenir en arrière et de faire comme s’il ne s’était rien passé et c’est l’ensemble du groupe qui s’en retrouvera mêlé.


Si les autres membres du groupe ne manqueront pas de condamner les agissements de leur associé, ils ne pourront pas s’en désolidariser si facilement, faute à des intérêts mutuellement croisés et c’est donc à un véritable défilé d’égoïsme et de pure lâcheté auquel on va assister. Les leaders changeront de tête dans cette épreuve, et si la victime complètement apeurée ne pourra pas être raisonné, il s’agira de noyer le lapin pour ne pas se retrouver éclaboussé par ce sinistre fait divers. Pas de corps, pas de crime. Pas de témoin, pas de problème. Il n’y en aura aucun pour racheter l’autre, pas même un seul pour abréger son calvaire dans ce marécage qui lui servira de sarcophage. Il serai tentant d’attribuer des revendications féministes au film pour en faire une récupération militante mais c’est bien le vernis de cette bourgeoisie qui s’en retrouve étiolé par le degré de cynisme affiché.

Le-Roy-du-Bis
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le 24 août 2023

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