Assez méconnu, le huitième long métrage de fiction de Martin Scorsese n’en est pas moins un véritable chef-d’œuvre.
Le pitch : Un comique méconnu, pour se faire reconnaître, enlève le présentateur d’un show télévisé et n’accepte de le libérer qu’à la condition de participer à son spectacle.


Contrairement à son prédécesseur Raging Bull, le travail de Scorsese prend une toute nouvelle ampleur avec LA VALSE DES PANTINS.
On y retrouve certains motifs déjà proposés : De Niro, un portrait frontal mais pas simpliste de la folie, l’immersion dans un univers, des portraits d’hommes et femmes ancrés dans leurs époques… Mais cette fois, Scorsese y adjoint une nouvelle notion, presque métaphysique – celle du rapport à l’image.
Cette notion fait le lien avec les motifs sus-cités en dessinant par la même occasion, un autoportrait orgueilleux du cinéaste. On peut voir dans le parcours de Pupkin, une métaphore de ce qu’est LA VALSE DES PANTINS pour Scorsese: un film rendant hommage à ses idoles, autant qu’il cherche à les décrédibiliser agressivement. Pupkin (Scorsese ?) utilisera pour cela ses propres obsessions, son talent, et une vraie innovation dans l’approche.


Cette thématique de la réappropriation réussie d’influences culturelles au service d’un discours personnel me fascine dans l’art ! Surtout lorsque le nouveau discours est lui même si puissant, qu’il pénètre à son tour, dans l’inconscient collectif. (ex: It Follows, Fury Road, Uncharted 2, etc.)
À l’instar de Taxi Driver ou Raging Bull, LA VALSE DES PANTINS est lui aussi rentré dans l’inconscient collectif, à défaut d’obtenir une véritable reconnaissance publique. On perçoit ainsi son influence dans de nombreuses œuvres comico-réalistes abordant la question du sens de l’humour, et de sa représentation… De Louie à Funny People, en passant par les Coen.


Car si LA VALSE DES PANTINS met en scène des « humoristes », il n’est pas un film « drôle ». L’humour se trouve dans la définition qu’ont les personnages de ce mot, et de la façon dont il le communiquent aux autres. Il vient également de la confrontation entre le rationnel et l’irrationnel, dans les extrémités qu’atteindront les personnages confrontés à la folie: la leur, celle des autres. LA VALSE DES PANTINS évolue ainsi entre le dérangeant (on parle quand même de SPOIL --> un kidnapping réalisé uniquement pour passer à la télé <-- ) et le franchement caustique ! En cause, cette absurdité réaliste des situations, appuyées par une vraie dimension psychologique. C’est passionnant.
Quant à Robert de Niro, il poursuit son travail de caméléon psychologique et de personnification des obsessions de Martin Scorsese. Une fois de plus, l’acteur maîtrise son personnage de bout en bout, au point de faire oublier ses prestations précédentes !


Il se fond ainsi littéralement dans son rôle oxymore: Rupert Pupkin est à la fois fou et parfaitement conscient de ses actes, sa psychose nourrissant son intelligence. En face de lui: Jerry Lewis-Langford, dans une incarnation palpable d’une célébrité comique. Langford apparaît par contraste avec Pupkin, également schizophrène; Il devient apathique, solitaire, presque misanthrope dès lors qu’il quitte la scène. Plus que leur instants communs, voir évoluer ces deux portraits d’hommes dans leur rapport à la célébrité est déjà passionnant. Le jeu d’acteur vient décupler notre passion pour ces deux personnages, via une empathie impossible sur le papier.


Quant aux personnages féminins… Si comme toujours, le personnage joué par De Niro tente d’assujettir une femme à sa vision du monde (Rita/Diahnne Abbott), il y a cette fois une déclinaison intéressante et inédite de la catégorisation très binaire maman/putain, habituelle appliquée aux femmes dans les films de Scorsese: Masha/Sandra Bernhard est ainsi économiquement indépendante (ultra-riche), n’a aucune ambition, aucune attache familiale (ni parents ni enfants), est inconsidérée par tous, et n’a d’autre désir que de posséder Jerry Langford… Enfin une femme qui peut s’affranchir des préconceptions masculines à son égard !


Pourtant ironiquement, elle développe son propre rapport à la psychose et à l’obsession, en miroir à celui de Pupkin. Là encore, la finesse d’écriture de Paul Schrader alliée à l’excellente direction d’actrices du réalisateur fait de ce personnage féminin l’un des plus mémorables du cinéma de Scorsese, tout en développant sa thématique fétiche par le contraste absolu. Et c’est encore une fois passionnant.
En bref, LA VALSE DES PANTINS est un nouveau chef-d’œuvre signé Scorsese, qui mérite clairement d’être (re)découvert tant il est riche !


LA VALSE DES PANTINS a été chroniqué dans le cadre de la rétrospective consacrée à Martin Scorsese par le Festival Lumière 2015, pour laquelle nous sommes revenus sur l’oeuvre du cinéaste !

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le 9 oct. 2015

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