[Mouchoir #20]


Ce qu'il y a de bien quand on se tient à un cycle, c'est qu'on y aperçoit les évolutions qui, sans ça, seraient peut-être effacées, écrasées sous le poids de la cohérence qui incombe aux filmographies. Car on a surtout tendance, en surface, à lire un·e auteur·e à l'aune de ses thèmes récurrents et de son style que l'on cherche à baliser. Ainsi, s'il fallait se prêter à l'exercice et scinder ici en trois l'oeuvre de Mizoguchi, l'étude suivrait peut-être la piste des décennies et des différences rythmiques qu'elles hébergent.


D'un côté, dans les années 30, le cadre devient tableau et scène, le cinéaste traite l'écran comme une peinture aux côtés de son directeur de la photographie Minoru Miki. Ses personnages y sont enfermé·e·s, cloué·e·s à leur condition, jouant un rôle qui leur colle à la peau. Même si l'on a longtemps loué le gris de l'oeuvre de Mizoguchi, les films de cette période sont d'un noir dénué d'espoir.


De l'autre côté, pendant les années 50, l'ampleur des mouvements se démultiplie, sans pourtant que cela ne signifie la libération des personnages. Cette caméra de Kazuo Miyagawa qui ne tient plus en place témoigne d'un bouillonnement intérieur : les passions comme la rage, l'amour ou la honte veulent se déchaîner. La liberté n'est que touchée du bout des doigts, dans cette force du mouvement dont l'énergie ne construit rien, et se voit seulement relâchée.


Puis, entre ces deux décennies, se nichent les films des années 40 qui manquent d'un souffle pour vraiment exister. Nous sommes au lendemain de la guerre, ou bien en plein milieu de celle-ci, et Mizoguchi manque peut-être de moyen ou de liberté de ton. Mais si la forme en pâtit légèrement, c'est surtout le fond qui semble plus flou. Le cinéaste paraît se chercher, essayant de traduire son style dans ce nouveau contexte qui a balayé le Japon des années 30 qu'il connaissait. Mizoguchi sait toujours filmer, mais il a du mal à nous tenir en haleine pendant 1h30. Il faudra attendre Le Destin de madame Yuki et Mademoiselle Oyu pour un véritable retour.


L'exception, c'est cette Vengeance des 47 rônins. La pièce manquante au puzzle. Le cinéaste y radicalise sa mise en scène : un plan dure en moyenne deux minutes et résulte de la picturalité des années 30 et des mouvements monstrueux des années 50 (ici en 1941, et c'est à peine croyable). Il s'agit d'un souffle épique constant, doublé d'une lenteur à toute épreuve. Comme ces rônins captifs de l'immobilité, Mizoguchi nous enferme. Aucun échappatoire, juste l'attente de cette fin qu'on connaît, 3h45 plus tard.


Après cette longue introduction, à vous de voir le film.


7,5.


[08/04/18]

Créée

le 13 avr. 2022

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