Critique publiée dans le cadre de la Coupe SensCritique - 1ère édition :
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Dès les premières secondes, avant que n’apparaisse la première image, on sait la gravité du sujet qui nous sera narré. Lettrages sur fond noir, cuivres et violons nous expédient sans prévenir au cœur des ronces. Présage d'inconfort ou mise en garde. Entre deux écrans de générique, un insert de ciel maussade que reflète une mer agitée. Cinémascope de sinistre augure.

Le pressentiment s'estompe néanmoins aux premiers mots versés. En dépit de la grisaille ambiante, aucune noirceur ne transparaît. Le personnage de Philippe Noiret, Commandant de l'armée française chargé du recensement des disparus, fait montre d'une grande légèreté. Pas dans ses responsabilités, qu'il assume avec la plus noble diligence, mais plutôt dans ses conversations du quotidien. Une touche d'humour, de çi, de là, désamorce ainsi la pesanteur du contexte armé. Si la guerre n'a plus lieu, elle perdure dans le cœur des familles. Ici, ce sont les vivants qui se tourmentent. Les proches des soldats présumés morts, meurtris dans leur âme, réclament une dépouille pour entamer le deuil. Ils ont vu des corps déchiquetés, des membres arrachés, mais il n'y rien de pire que l'amputation d'un esprit. Il n'existe pas de prothèse pour ça. Ainsi parlait le Colonel Slade dans Le temps d'un week-end, de Martin Brest. Autre temps, autre guerre, et pourtant le discours ricoche à merveille lorsqu'on l'associe au propos de Tavernier.

Le plus souvent, un lien filial endeuille le vivant. D'autres fois c'est une liaison charnelle, à l'instar de celle qui unissait naguère Irène et son amant. Madame de Courtil, jeune aristocrate descendue dans cette campagne délabrée à la recherche de son amour perdu, est rapidement confrontée au Commandant Dellaplane. Et par là même, aux statistiques effroyables de son régiment. Devant le marasme des investigations en cours, elle - un tantinet hautaine - exige un gage de bonne volonté. Lui paie l'incurie de ses supérieurs hiérarchiques, et d'une classe politique concernée par les honneurs cérémonieux. De fil en aiguille, une confiance se tisse, une glace se brise, il s'en faut de peu pour que l'intimité prenne le dessus. Seulement, Irène éveille en lui des sentiments que les tranchées avaient enfoui si loin et profondément que ce soudain rappel à sa nature sexuée le paralyse illico.

Certes, la vie continue. Le cadre est toujours plein. Ca mange, ça danse, ça boit, ça rit parfois. Quant un obus n'explose pas dans un champ qu’on laboure. On profite de la mort comme d'une denrée, certains en font leurs choux gras. L'amour, pourtant ! C'est l'amour qu'on n'ose pas, ou plus.

Je m’attendais à une fable obscure et déprimante, le canevas était propice à un spleen hexagonal qui ne dirait pas son nom, mais à mon grand étonnement les dialogues sont d’une ironie lettrée tout à fait réjouissante, quant ils ne sont tout simplement pas pertinents.

Mad Props, Bertrand.
DrunkenBastard
8
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le 9 avr. 2014

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DrunkenBastard

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