"Laurence anyways", ou le retour du mélodrame volcanique
Laurence anyways
Film de Xavier Dolan
Avec Melvil Poupaud, Suzanne Clément, Nathalie Baye, Monia Chokri
23 ans seulement, et déjà son troisième film. Avec "Laurence anyways", le jeune cinéaste canadien Xavier Dolan, au dire de la plupart des critiques, opère un bond considérable dans son cinéma, tout en restant au centre de la conception de ses films (ici, réalisateur, scénariste, monteur, costumier). Cette démiurgie - tout autant qu'autarcie - est propre à susciter à la fois de l'admiration comme de la suspicion.
Pour corroborer cette vision "nombriliste", il suffit de prendre l'un des éléments les plus visibles du film : les costumes, afin d'en détacher un paradoxe : le film circonscrit son espace fictionnel au cœur des années 90, mais les vêtements portés par exemple par Melvil Poupaud, sont loin de refléter la tendance de l'époque. Les détracteurs diraient : c'est simplement irréaliste, révélant une lubie de l'auteur. Les tenants de la liberté du créateur l'assimileront à une libération de l'imaginaire, comparant ces grandes capes à celles des personnages des westerns de Sergio Leone.
Dans "Laurence anyways", l'artifice côtoie ainsi la profondeur, le rire s'adosse aux larmes, et le spectateur doit tracer son chemin dans la forêt de signes proposés. Des scènes comme celles des chutes (pluie tombant sur Fred, amas de vêtements sur le couple réuni à l'Ile au Noir) ont autant de force dans leur valeur expressive, poético-visuelle, qu'elles surgissent dans un rythme inhérent au clip vidéo. Pas de doute que c'est dans la fougue de la jeunesse, au mépris de toute grammaire cinématographique que le film de Xavier Dolan puise. Quel cinéaste en effet oserait ces nombreux ralentis, symboles de mauvais goût dans bien d'autres films ?
La qualité de "Laurence anyways" repose en fait beaucoup sur ses articulations paradoxales : partir d'une matière mélodramatique éprouvée pour lui insuffler un vent de nouveauté ; empiler une masse d'éléments hétérogènes pour les jeter dans le feu d'une subversion baroque. Cette profusion assoit l'originalité du film comme elle casse aussi parfois sa dramaturgie. Il règne une tension permanente entre la volonté de prendre à bras le corps un sujet romanesque et la tentation d'enrober le tout dans une invention visuelle constante.(...)