Assumer ou non une marginalité?

Ce film retrace la vie d’un couple sur une dizaine d’années, au sein duquel l’homme, Laurence, décide de vivre dans le corps d’une femme. Mais Fred, la femme, bien qu’éperdument amoureuse de Laurence, n’accepte pas cette transformation… Elle en vient à quitter Laurence et à avoir une vie normalisée avec un mari et un enfant. Mais, cette vie traditionnelle ne lui correspond pas… Alors que sa sœur assume une homosexualité, Fred ne peut pas se détacher de l’image de la société. C’est plus fort qu’elle ! Comment en effet pourrait-elle échapper aux préjugés, aux regards dégradants et maintenir une confiance en elle, alors que vraisemblablement, elle n’a que très peu de recul face à ses émotions, ses sentiments? Alors qu’elle n’assume que peu l’alternance de ses états psychologiques, comment pourrait-elle accepter un regard critique du monde entier sur elle ? A contrario, Laurence représente cet être qui lutte avec lui-même et qui en vient à faire accepter sa différence, à force de luttes contre sa famille, la société et lui-même… Assomption qui n’en suscite pas moins des rejets forts, telles son exclusion du corps des enseignants de l’université et sa rupture avec Fred. Des deux personnages principaux, Laurence est bel et bien celui qui réussit le mieux à être au clair avec lui-même, tandis que Fred enchaîne les expériences de vie sans paraître prendre de recul sur celles-ci et surtout sans vouloir en prendre quand Laurence le lui propose.
Le film, dont le style original associe des scènes burlesques sur des musiques des plus variées et dans des décors des plus kitschs, pose la question des rapports à la famille dans l’émergence et l’assomption de la transsexualité. Pourquoi une transsexualité chez Laurence ? Est-ce le modèle tellement dégradé physiquement et psychiquement qu’il a comme père qui l’incite à ne pas ressembler à une personne de genre masculin ? La mère de Laurence, bien que perturbée et rigide, semble tout au long du film prendre la voie de son fils, ou plutôt de sa fille… Elle abandonne le père dépendant de son écran de télévision et asocial au possible pour aller vers « sa fille ». La mère de Laurence n’apparaît pas comme une mère oppressée par son mari, mais une mère plutôt indépendante… Ainsi, si Laurence ne veut pas ressembler au père, il n’éprouve pas de dégoût prononcé pour la vie avec une femme. Il n’a pas eu de proximité trop forte avec sa mère, lui donnant le goût de l’inceste. Il n’a pas vu un père faire souffrir sa mère… Il peut s’engager dans une relation avec une femme, mais la femme, dont il rêve préfèrera la solitude à la vie avec une « femme » !