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Après deux films remarqués (l’introspectif « J’ai tué ma mère » et le très esthétique « Les amours imaginaires »), le 18 juillet de cette année, X.Dolan nous a offert « LAURENCE ANYWAYS », au format ambitieux (159 min). Ce film retrace sur une décennie (1987-1999) la vie d’un couple singulier, et plus particulièrement à la suite du choix de Laurence de s’assumer tel qu’il est, c’est-à-dire une femme, au mépris de tous les codes établis par la société.

Au-delà du thème apparent et revendiqué du changement de sexe, c’est davantage la volonté de briser un tabou que le transsexualisme même qui est la substance du film. Tout est histoire de regards. Tout d’abord celui que se porte Laurence Alia (le touchant Melvil Poupaud) sur lui-même. « Ça fait 35 ans que je vis comme ça et c’est un crime. C’est très important, faut que ça sorte, faut que je te le dise. Je vais mourir si je te le dis pas. » C’est à partir de cette déclaration, imprévue, mais pourtant des plus sincères, vitales, que le confort du couple Fred-Laurence se brise, et que la vie de ces deux êtres bascule. A sa 35ème année, Laurence fait le constat que toute sa vie il a nié et tue sa personnalité. 35 ans c’est trop, beaucoup trop, il faut que cela cesse. Ces années d’existence ne sont que l’imposture d’une fuite systématique d’une « différence ». Laurence est né homme mais se sent femme. A l’observation de sa compagne Fred (jouée par la très juste et marquante Suzanne Clément) « Tu me mens depuis deux ans », Laurence ne peut que répondre « Non j’ai pas menti, j’ai juste rien dit ». Ne rien dire. Taire son être. S’empêcher de vivre pleinement, au motif que ce n’est pas normal et que personne, ni la société, ni Fred, ni sa famille, ne pourrait l’assumer, le supporter, le comprendre, l’accepter. Tant que Laurence n’assumera pas sa différence à la vue de tous et qu’il ne se sera pas accepté en tant que tel qu’il ne pourra être enfin normal.

« Déguisée » comme le dit sa mère (Nathalie Baye, exceptionnelle comme toujours), Laurence rayonne, détonne et étonne. Laurence est belle. Mais le but de Laurence est d’être acceptée de la société. Elle ne veut pas vivre recluse. Continuer à vivre comme avant, avec le même entourage, est son seul désir. L’acceptation de son être par les autres constitue la difficulté de sa renaissance. Car le centre du propos est là : la société rejette la différence, la pointe du doigt et se borne aux préjugés… sans porter sa réflexion au-delà. La scène dans le café, poignante est très illustratrice. Fred y exprime son exaspération devant tout le monde, après l’intervention de la serveuse. Saturation de ces regards lourds à supporter au quotidien, de toutes ces personnes muettes mais dont le jugement se lit très clairement sur leur visage... La société emprisonne d’une certaine manière les individualités, imposant ses codes, dont celui du rejet de ceux qui ont le courage d’assumer le fait d’être au-delà des normes … Etre un homme et se « transformer » en femme, n’est-ce pas l’expression ultime de la différence ? C’est pour cette raison que X.Dolan a choisi de conter l’histoire de Laurence Alia. Il est important cependant de remarquer que, comme le dit le réalisateur lui-même, personne du film n’aspire plus à la normalité que Laurence.

Outre sa critique de la société, «Laurence Anyways » est avant tout l’histoire d’un amour passionnel entre deux personnes, Fred et Laurence. Fred est en effet prête à accompagner Laurence dans sa transformation et à affronter avec lui le regard que leur porte la société. Mais se lancer corps et âmes dans cet amour « extra » ordinaire n’est-ce pas fuir la réalité et une certaine fatalité ? Fred elle-même le dit : « Tout ce que moi j’aime de toi c’est ce que toi tu détestes de toi ». Faut-il renoncer à l’être aimé parce que la douleur est trop grande, ou alors l’aider dans sa nouvelle naissance en dépit des opinions des autres, et même de notre propre bonheur ? Faut-il donner une chance à ce qui continue d’être une histoire d’amour ou se rendre à l’évidence et se dire qu’on ne peut au final être heureux dans une telle situation ? Fred a fait le choix d’y croire et nous assistons aux péripéties de cet amour. Seulement l’étendue temporelle du film nous permet de connaître les hauts et les bas de leur histoire, et la lutte pour la permanence de cet « amour impossible » fait naître en nous tendresse et mélancolie. On peut ainsi qualifier les trois films que X.Dolan a réalisé comme une sorte de trilogie inconsciente sur l’amour impossible. Ainsi « J’ai tué sur ma mère » serait l’amour impossible entre un garçon et sa mère à l’adolescence, « Les amours imaginaires » l’amour impossible jeune et enfin « Laurence Anyways » l’amour impossible adulte.

L’amour familial est ici incarné par la « guest star » du film, Nathalie Baye. Son personnage est particulièrement touchant, en parti grâce à la franchise emprunte de subtilité de son jeu. X.Dolan n’est pas tombé dans le cliché de la réaction de la mère s’inculquant la faute de l’ « anormalité » de son fils. « Tu veux que je réagisse comment Laurence ? ». Cette apparente indifférence cache en réalité un profond bouleversement. Car la mère de Laurence est le seul personnage qui, au cours du film, connaît une évolution psychologique positive suite au changement de Laurence. En effet, elle se remet à peindre, et décide de mettre fin à l’inertie de sa vie de femme et de couple. Si son fils a le courage de s’assumer, n’est-elle pas capable elle aussi de faire un effort pour être heureuse ? Nathalie Baye prononce ces mots touchants : « Je n’ai jamais eu l’impression que tu étais mon fils... Par contre, j’ai l’impression que tu es ma fille. » Lorsque le fils et la mère se sentent épanouis en leur propre personne, alors la relation conflictuelle devient apaisée.

Ce n’est pas une nouveauté, la musique a depuis les premiers pas cinématographiques de X.Dolan une importance primordiale. C’est sûrement l’aspect qui me plaît le plus dans ses films. Il y a une harmonie magique entre les sons et les images, entre les sentiments exprimés par le film et ceux ressentis par le spectateur. Cette harmonie confère au cinéma de X.Dolan toute sa puissance. Il y a un soin particulier apporté aux plans, et certaines scènes pourraient être visionnées des centaines de fois avec le même émerveillement et sans ennui grâce à la beauté de l’ensemble. Pour X.Dolan, la musique est un personnage de ses films. Elle est son instrument de communication avec le spectateur. Avec « Laurence Anyways » j’ai été subjuguée dès les premières secondes. La scène d’ouverture où Laurence marche dans une rue embrumée telle un songe est une introduction esthétique et musicale magistrale (sur fond de Fever Ray). En définitive, la seule nuance à mon enthousiasme concernant le film serait peut être sa longueur, même si les scènes d’explosion musicale et esthétique lui confèrent un rythme singulier. Ainsi on accepte tous les excès de X.Dolan, car son cinéma serait peut être en définitive le cinéma de l’excès, excès d’instants magnifiques et touchants de la vie, qu’on accentue et ralentit, par le biais d’une harmonie visuelle et sonore... Le cinéma en a le pouvoir, X.Dolan l’ayant bien compris, exploite cela avec génie.

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le 25 juil. 2014

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ClaraMilitch

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