Le duel de trop
L’Histoire retiendra sûrement que la carrière de Ridley Scott a commencé avec des Duellistes et qu’elle s’est finie sur un Dernier duel… …un duel de trop. Alors oui, bien sûr, d’autres films du...
le 13 oct. 2021
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Ma note est sévère sans doute, compte tenu de certaines qualités de ce film, j’y reviendrai. Mais elle est à la hauteur de ma déception. J’attends beaucoup d’un Ridley Scott. Encore plus lorsqu’il traite un de ses genres de prédilection, le drame historique, et encore davantage lorsque son film est porté par un casting aussi prestigieux. Il y en avait tellement pour me plaire, sur le papier, ou plutôt dans une bande annonce alléchante, que la séance m’a laissé un goût de gâchis difficile à faire passer. (Attention Spoiler un peu partout).
Des qualités pourtant, le film n’en manque pas. Le vénérable Ridley Scott, ayant quelques notions de cinéma, j’ai peu de choses à reprocher au film sur sa forme. Le trio d’acteur principaux s’avère particulièrement convaincant. Mention spéciale à Jodie Comer, dont le jeu tout en subtilité force l’admiration. J’ai aussi apprécié de découvrir un Matt Damon à contre-emploi, bien éloigné de ses rôles habituels de jeune premier. Comme quoi, une balafre et une coupe mulet, ça change un homme ! Quant à Adam Driver, je le trouve excellent dans tous ses rôles et celui-ci ne fait pas exception. Du point de vue de la réalisation, peu de choses à redire. Si j’ai regretté un usage parfois abusif de la désaturation des couleurs dans les scènes en extérieur, l’éclairage en clair-obscur des intérieurs sert bien le propos du film. Les décors, sans être parfaits, (mais c’est quoi ces fenêtres Renaissance sur mon château fort !) ont le mérite d’être souvent en prise de vue réelle et de ce fait, fonctionnent bien. Mais le vrai point fort du film, là où on retrouve le Ridley Scott qu’on aime, ce sont les scènes de bataille. Cette façon de filmer au plus près de l’action, caméra sur l’épaule, sans surenchère d’effets numériques, donne au scènes une puissance que j’apprécie particulièrement. Celle dans laquelle les chevaliers menés par Jean de Carrouges et Jacques Le Gris chargent l’ennemi sur les berges d’une rivière m’a vraiment accrochée. J’ai aimé sentir le fracas des armes, le poids des armures et la lourdeur des sabots des chevaux fonçant vers l’ennemi.
Alors, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Et bien c’est que la lourdeur justement, lorsqu’il s’agit de scènes de bataille, je l’apprécie. Lorsqu’il s’agit de gros sabots scénaristiques, beaucoup moins. Le choix de découper le récit en trois chapitres, chacun présentant le point de vue d’un des protagonistes, aurait pu être excellente. A condition cependant qu’un minimum de doute plane sur la véracité de l’accusation de viol à l’origine du fameux duel judiciaire. A condition que le spectateur, à chaque version de l’histoire, relève les incohérences, cherche des indices et reconstitue un puzzle. Rien de toute cela ne se produit. Les versions divergent si peu, surtout concernant le viol lui-même, que l’on peine à comprendre l’intérêt qu’il y a à présenter trois fois la même histoire. Tout ce qu’on apprend, c’est que les deux hommes sont rivaux et se donnent chacun le beau rôle. Cela parait un enjeu bien secondaire. En effet l’essentiel est ailleurs. Tout concorde pour arriver à la troisième version, ou plutôt à son écran-titre. Si le spectateur n’arrivait pas à cette conclusion par lui-même, on lui écrit en toute lettres : Marguerite de Carrouges n’a pas « sa » vérité, elle a « La » vérité. Voilà le message du film assené avec la subtilité d’un coup d’épée à deux mains sur une armure de plates : la victime a toujours raison.
Que l’on s’entende, le message résolument féministe du Dernier Duel est parfaitement légitime. Je trouve simplement qu’il est si lourdement amené que cela brise complétement l’immersion. Le choix même de l’époque médiévale apparait comme un décor, un prétexte, qui est n’est pas absolument pas exploité pour lui-même. Là où, par exemple, la saga Game of Thrones traitait subtilement la complexité des rôles féminins dans une société d’inspiration médiévale, le Dernier Duel échoue complétement, selon moi, à transposer les enjeux de notre époque dans un système social différent. Cette allusion balourde aux viols impunis dans l’Eglise, cette reprise de la déclaration d’un député républicain américain affirmant qu’une femme violée ne peut « scientifiquement » pas concevoir, ces femmes à la fin sur leurs murets, applaudissant avec des paillettes dans les yeux, toute cela sonne faux et terriblement anachronique. Mais la scène qui m’a véritablement consternée est celle avec les chevaux. Le grand étalon noir de basse lignée, crinière au vent, qui veut saillir la jument blanche de noble naissance, mais que Jean de Carrouges empêche de parvenir à ses fins à grands coups de pelle dans la tronche avant d'enfermer la jument à l'écurie... Paye ta métaphore subtile ! A côté de cela, j'aurai aimé plus de réflexion sur le sujet annoncé du film, par exemple sur fait qu'il s'agit du dernier duel judiciaire de l'histoire de France. Pourquoi le dernier ? Est-ce que l'affaire jugée ou son verdict remettait en cause l'idée que Dieu n'ait pas tranché correctement par exemple ? Comment s'articule justice des hommes, justice royale et justice divine ? Tout cela est évacué et je trouve cela bien dommage.
En bref, un film qui aurait pu être séduisant mais qui m’a complétement perdue par ses partis-pris scénaristiques. Un film, cependant, loin d’être pitoyable et qui saura sans doute trouver son public.
PS : Sans vouloir trop en rajouter, je conclurai sur quelques suggestions pour les réalisateurs traitant du Moyen Age au cinéma :
1. Au Moyen Age, ce n’était pas l’hiver tout le temps. Il y avait quatre saisons comme aujourd’hui. Et même, des fois, il faisait beau. Si si !
2. Vous n’êtes pas obligés de représenter systématiquement les rois de France comme des faiblards couverts de fanfreluches plus ou moins dégénérés.
Créée
le 27 oct. 2021
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