"Car c'est au fond de leur maison

Qu'elles se préservent des garçons

Les bigotes

Qui préfèrent se ratatiner

De vêpres en vêpres de messe en messe

Toutes fières d'avoir pu conserver

Le diamant qui dort entre leurs fesses...

De bigotes"


C'est cette chanson de Brel, un peu plus dure que le regard au demeurant assez tendre porté par le réalisateur sur ses sujets, qui m'ait revenu en mémoire en contemplant le destin de ces deux sœurs luthériennes, si pures, si belles, si pieuses et si effrayées par la vie, ou plutôt la chaire et ses tentations, confinées dans la monotonie d'une vie en nuances de bruns.


L'histoire racontée est celle d'une française Babette, qui, fuyant la répression de la Commune de Paris en 1871 est accueillie dans un village Danois par deux sœurs filles de pasteur luthérien, célibataires et vieillissantes qui lui offrent l'hospitalité contre son aide pour les tâches ménagères et notamment à la préparation des repas. 14 ans après son exil, Babette, dont le neveu lui offre chaque année un billet de loterie, gagne 10 000 francs, et décide de les utiliser pour offrir un diner à la française à 12 convives protestants.

C'est un film devant lequel j'ai beaucoup ris et j'ai été émue aussi. Je l'ai trouvé magnifique d'un bout à l'autre. Les acteurs même secondaires jouent bien, les dialogues sont drôles ou touchants, la réalisation est correcte, la photographie est belle, et le montage est pertinent. Deux siècles après le temps de l'intrigue il tombe encore juste en certains aspects de la dichotomie austérité protestante / faste catholique.

Les entrechocs culturels venus par vague, dans un premier temps à travers un jeune homme amoureux et fougueux dont la greffe ne prend pas à ce corps trop austère pour lui, puis à travers Papin "le papiste" dont les chants joyeux illuminent le village mais qui repartira éconduit, jusqu'à Babette. Son arrivée vient peu à peu mettre en lumière les paradoxes d'une foi rigoriste et totalitaire, qui se veut entière et zélée, toute vouée à Dieu seul, mais qui laisse par moment plus de place à la peur du Diable qu'à l'amour de Dieu.

C'est un film qui offre des temps de contemplation, qui ne sont pas pour me déplaire mais qui ennuieront surement les aficionados des actions sans répit. Les paysages nordiques, l'éclairage à la bougie, le dix-neuvième siècle ses mœurs et ses costumes, les mimiques des personnages, la lenteur de chaque séquence, la joie innocente de la communion fraternelle, l'humilité de Babette qui se laisse enseigner les habitudes culinaires des maitresses de maison, la bouillie de pain à la bière et le poisson qu'on laisse tremper, dressent un tableau de conte ancien qu'on se verrait lire l'hiver au coin du feu.

Le pain à la bière m'a rappelé cette anecdote sur Saint Louis, qui versait de l'eau dans ses plats de peur de prendre trop de plaisir à manger et de tomber dans le péché.


Le protestantisme ni est pas dépeint de manière si caricaturale, et au final, on lui reconnait sa grandeur : celle d'une vie vécue dans une perspective d'éternité, et face à cette perspective, les plaisirs sacrifiés fondent comme neige au soleil. Au final, que ce soit le général qui à la fin de sa vie cite l'ecclésiaste (1:2) devant son miroir "vanité, tout est vanité", ou Papin, qui reconnait l’écueil de la célébrité dans la solitude de sa vieillesse, la plénitude offerte par la Foi des deux sœurs semble être la bonne part, cela sans compter la part du diable.


J'ai beaucoup ris de cette mise en pratique légaliste de Mathieu 15:11 lors du repas : "Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme; mais ce qui sort de la bouche, c'est ce qui souille l'homme." Avec ces 10 convives sur 12 qui se sont promis de ne rien dire sur ce qu'ils mangent, quoi qu'il arrive.


Babette arrive dans ce village luthérien comme la manifestation d'une promesse de Dieu en Esaïe, venue purifier les rancuniers et réveiller les cœurs assoupis, restaurer l'unité, la joie dans les cœurs, et l'abondante fertilité d'un souffle nouveau à travers un repas eucharistique, préfiguration pour ces chrétiens convaincus, des noces de l'agneau dont ils jouiront dans le royaume des cieux.

Ce repas vient signifier l'élasticité de la grâce de Dieu, qui n'est pas confiné sous les jupons de la rigueur, qui a lui même créé le plaisir et qui sait très bien nous rejoindre en toute chose.



Esaïe 43:19 "Voici, je vais faire une chose nouvelle, sur le point d'arriver: Ne la connaîtrez-vous pas ? Je mettrai un chemin dans le désert, Et des fleuves dans la solitude."


Bonus : La recette des cailles en sarcophage existe ! J'avoue avoir eu moins d'intérêt pour la soupe à la tortue...

Septieme-Sens
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le 19 févr. 2024

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