Il y eut deux tornades : A l’intérieur (revu seize ans après sa sortie au PIFFF en décembre 2023, le film n’a pas pris une ride est reste toujours aussi fou) et Livide (redécouvert récemment également, et dont la poésie macabre est belle et bien restée intacte). Puis deux échecs artistiques : Aux yeux des vivants et plus particulièrement Leatherface. Mais Alexandre Bustillo et Julien Maury nous sont revenus étonnamment en forme, et avec humilité (certaines mauvaises langues parleront de maturité, sous-entendu que le duo s’est trop adouci) avec leur chouette doublette de 2021, The Deep House et Kandisha.

Et talentueux ou pas, il y a quelque chose qu’on ne pourra pas enlever à Bustillo et Maury : la cohérence de leur filmographie. En ce sens, les rapprocher d’un Eli Roth (chez qui bourrin rime également avec malin), ne semble pas galvaudé, tant leur style est identifiable entre mille. Si le réalisateur américain creuse infatigablement le sillon de l’ironie mordante, le duo français, lui, cultive depuis presque vingt ans une forme de lyrisme cradoque, dans lequel les excès de brutalité rivalisent toujours avec un décorum aussi suranné que malaisant. Certains trouveront cela complaisant et gratuit, d’autres (et j’en fais partie), admirent leur travail sur les décors, les ambiances et leur goût pour l’horreur viscérale.

Sur ce plan, Le Mangeur d’âmes nous rassure rapidement : un village isolé et inquiétant, un ciel plombé, une scène de crime hideuse, le terrain de jeu est parfait pour nos deux français. Et je dirais même plus : c’est un environnement qui semble beaucoup plus naturel au duo qu’à un Kassovitz dans le tiédasse Les Rivières pourpres (et à plus forte raison dans le assez naze Asssassin(s)), curieux modèle avoué par les deux réalisateurs.

En vérité, Le Mangeur d’âmes va beaucoup plus loin dans le sordide, et s’épanouit avec bonheur au-delà des registres où l'on attendait Bustillo & Maury et sur lesquels on ne s’appesantira pas (scènes d’horreur barbares, ornements religieux ou païens façon Livide, percées poétiques sombres, musique aux petits oignons). Trois scènes d’action marquent d’abord les esprits (la course poursuite dans les bois, l’attaque dans la maison, le gunfight avec le motard) et surprennent par leur fluidité et leur tension. Et puis il y a cette galerie de personnages assez étoffés, qui confirme ce que l’on entrevoyait dans Kandisha : jusqu’à leur « film de banlieue » qui visait très juste question portraits, les personnages principaux de Bustillo & Maury servaient surtout de poupées vaudous sans grande épaisseur sur lesquels la violence et la peur s’acharnaient. Ici, ils ont tous leur tronche, leur petit truc, dans la gestuelle ou le langage qui les rendent humains et les font exister.

N'ayant pas lu le roman, je ne sais pas à quel point la narration est fidèle ou pas au matériau de base, mais clairement, on a affaire ici à une histoire qui réserve suffisamment de surprises (peut-être un peu trop pour être honnête) pour combler les amateurs de polars à la Maxime Chattam ou à la Patrick Sénécal. Et quand on voit à quel point l’écrivain canadien a été mal servi en termes d’adaptation cinématographique, que Maxime Chattam va être porté à l’écran par… le réalisateur de la série Lupin (sic), on ne peut que se réjouir de voir (ré)apparaître, en France, ce type de film qui fait avec trois millions d’euros ce que d’autres feraient en moins bien (suivez mon regard vers cet acteur réalisateur qui aurait toujours dû se cantonner à ce qu’il sait faire, jouer) avec dix fois plus.

Ce n’est pas une question de mansuétude : alors qu’aujourd’hui le cinéma d’horreur américain se déchire entre productions Blumhouse convenues (pour le dire poliment) et une elevated horror qui n’a de valeur qu’à l’ausne du travail génial d'Ari Aster (coucou les intellos Jordan Peele et Robert Eggers qui pètent plus haut que leur cul après deux départs très prometteurs), on peut être fier du caractère de nos frenchies qui tracent leur route, soit imparfaite, mais personnelle et franchement valeureuse, dans un contexte économique moribond. Car n’oublions pas que Le Mangeur d’âmes vient ponctuer quelques récentes sorties heureuses dans le genre ces derniers mois (Acide, Vincent doit mourir, au poil, et Vermines dans une moindre mesure). Coïncidence amusante ou vrai nouveau départ ? Wait & see.

Francois-Corda
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le 7 mai 2024

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François Corda

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