Quel homme arrivant à la fin de sa vie d’actif ne songerait pas secrètement aux beaux yeux d’une jeune femme, à une nouvelle passion, à une échappatoire à la routine surtout si celle-ci est irrémédiablement composée de la présence d’une femme acariâtre qu’on ne peut plus voir en peinture et à laquelle le fils même échappe ?
C’est à partir de ce poncif, accompagné d’une caractérisation assez typée de l’épouse, antinomique de celle de la jeune femme douce et hautement désirable, que Siodmak lance l’histoire. D’emblée, le spectateur prend parti pour le mari bafoué et haït viscéralement cette vieille peau qui ne mérite que de crever, surtout si le premier est un Charles Laughton inspirant une grande sympathie, homme d’une incroyable bonhomie et bienveillance, à l’humour british presque aussi drôle que dans Témoin à charge, et la seconde une harpie disgracieuse, à moitié cinglée, crachant son fiel comme un insidieux venin et prête à tout pour casser le délire (bitch don’t kill my vibe) de son mari qui n’aspire qu’à la possibilité d'une île, c'est-à-dire jouir de ces derniers beaux jours en compagnie de cette apparition divine de laquelle il est secrètement tombé fou amoureux.
À partir de ce moment-là, sachant qu’il y en aura forcément un, le spectateur échafaude tous les crimes possibles au fur et à mesure de la progression du récit, ce qui constitue une grande prouesse narrative de Siodmak. Qui tuera qui, et comment ? Nombreux constituent les crimes fantasmés ou craints. Car, on l’a bien compris, l’amour entre ces deux êtres a beau faire rêver, ce ne peut être qu’une histoire d’amour impossible, vouée d’avance à l’échec, tant il y a d’obstacles humains et matériels.
Bien qu’on prétende qualifier ce film de noir, on n’y trouve en fait qu’une scène qui en relève vraiment : celle, superbe, de la filature de l’épouse suivant son mari la nuit dans les rues de la ville, au milieu de magnifiques clairs-obscurs d’une photographie respectant les codes du genre. Le(s) crime(s) en soi et la respective enquête policière tient/tiennent plus de l’histoire d’amour impossible, à la beauté tragique, contrariée par l’inexorable fatum.
Avec un Laughton toujours aussi bon et un récit très bien conduit, le suspect est sans aucun doute un des meilleurs Siodmak, bien plus solide dans la durée que Les Tueurs.
7,5/10