Voilà maintenant un petit moment qu'on a appris à se méfier du label "film indépendant", sorte de mouvance anti-mainstream qui a fini par répondre des mêmes syndromes de formatage artistique — ce n'est plus seulement le peu de moyens qui les réunit, c'est aussi et malheureusement, la manière de les utiliser. Les Bêtes du Sud Sauvage fait preuve d'un peu plus d'originalité et de modestie quand sa générosité tend à faire oublier les cadrages un peu hasardeux qui parsèment le film.

Zeitlin préfère raconter une histoire plutôt que défendre une cause, centrée sur une région du monde méconnue, le bayou, on évite la vision esthétisante de l'exotisme et son traditionnel sermon écologiste. Si le film évoque bien la fonte des glaces, sujet de préoccupation majeur pour une zone en permanence sujette à la montée des eaux, les échos religieux de la punition qui en résulte (le Déluge, bien sûr, mais surtout le retour des légendaires Aurochs) ne sont jamais que le ferment d'une croyance personnelle, celle de la petite Hushpuppy (incroyable Quvenzhané Wallis), ou tout du moins locale et n'ont en tout cas aucune vocation à l'universalité.

Cette modestie qui se meut finalement en respect rentre bien dans la logique de Zeitlin d'aller plus vers le conte que vers l'immersion documentaire. Mais c'est aussi le fait de ne jamais abandonner la perspective réaliste qui donne aux rares incursions fantastiques leurs forces et leurs significations. Elles se résument à sacrer l'avancée épique des Aurochs de manière rares et furtives — j'ai pensé au Princesse Mononoké de Miyazaki. Perçues à travers des songes, des rêves, les Bêtes ne viennent heurter la réalité que pour consacrer le courage de Hushpuppy qui réussit à les soumettre en ne les fuyant pas. Si on saisit aisément la métaphore des peurs dominées, de la quête personnelle qui arrive à son terme, cet "happy-ending" (appellation contestable, mais qui est filmé comme tel) est toutefois moins réussi que le périple qui l'a précédé.

Et on pourrait extrapoler en disant que Les Bêtes du Sud Sauvage est une fable moderne qui fonctionne mieux à l'énergie positive que grâce à ses lancées émotionnelles (touchantes sans être bouleversantes), c'est d'ailleurs souvent l'intensité musicale qui donne de la force à des cadres plutôt laids, des scènes pas toujours soignées qui parviennent néanmoins à rester communicatives. Le capital sympathie indéniable du film devrait, en marge de ses nombreux prix, lui accorder un succès public dont il faudra se servir pour obtenir les moyens de ses ambitions dans la perspective d'un autre film. Prometteur, donc.
Heisenberg
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le 24 nov. 2012

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le 25 nov. 2012

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