Les temps ont changés, la révolution des années 60 a laissé place au désenchantement des années 70 vécues comme un climat de défiance vis-à-vis des institutions, mais également de terreur. L’abolition du code Hays permet à une nouvelle génération de cinéaste de s’engouffrer dans la brèche d’un cinéma plus transgressif et amoral. La télévision ne cache rien de la sauvagerie de ce monde qui part à vau-l’eau. Les grandes villes deviennent théâtre des révoltes, et des luttes sociales. Dans ces conditions, les citadins préfèrent déménager en campagne pour retrouver de la sérénité. Un sujet idéal à porter pour tordre les clichés et nous affirmer que nulle part nous ne sommes en sécurité de la bestialité des hommes. Ce sujet Sam Peckinpah souhaitait l’aborder avec Délivrance avant que le projet n’échoit finalement dans les mains de John Boorman. Pour se réconforter, le réalisateur s’empare d’un sujet similaire se déroulant en Angleterre avec une horde de campagnards frustrés qui vont s’en prendre à un citadin fraîchement débarqué. Ce banlieusard, c’est David (Dustin Hoffman) un matheux bien éduqué qui accepte de venir s’installer dans le village natal de sa femme Amy, afin de pouvoir jouir de l'isolement et du calme nécessaire à ses recherches. Comme il n’est pas très bricoleur, il embauche trois hommes, sans même savoir que l’un d’eux est un ancien amour de jeunesse de sa femme.


Dans le village, les hommes n’ont de yeux que pour Amy, à l’inverse son mari est la cible de provocations et de moqueries, notamment de la part de ses ouvriers qui remettent en question sa virilité. Il est l’intrus dans cette communauté, l’homme riche et suffisant qui génère de l’animosité. Les rustres ne comprennent pas comment un petit homme aussi chétif a pu séduire Amy. Ces atteintes portés à son honneur, c’est justement ce qui va laisser exprimer le mâle enfoui en lui. Derrière sa fenêtre, David sera d’abord réduit à une position de spectateur, totalement impuissant, comme un cuck observant sa femme au lit avec d’autres hommes. Dans sa volonté de s’affirmer et de sauver son couple, la mari va se laisser entraîner dans des rapports de force et concours de bite stérile, en voulant se mesurer à ses rivaux sur leur propre terrain, celui de la chasse. Autre aveu d’impuissance, il ne se sentira enfin « fort » que lorsqu’il aura un fusil entre les mains. Mais c’est aussi ce revirement de personnalité qui va nuire à son couple, ça et le manque évident de libido. D’autant qu’Amy se trimbale constamment en petite tenue avec des décolletés affriolants. Les mauvaises langue de l’époque diront qu’il ne fallait pas tenter le diable. La séquence du viol va d’ailleurs dans ce sens, paradoxe de cette humiliation, sa femme semble éprouver un plaisir coupable et se montrer plus consentante à mesure de l’agression. La scène n’est pas pour autant érotisé, mais elle a le mérite de briser un tabou de société que certaines victimes ne pourront jamais confesser, entre la frustration refoulée, l’excitation de l’interdit mêlé à la terreur de l’agression.


Evidemment un film aussi extrême ne pouvait pas passer inaperçu, c’est justement à cause de son sujet si brûlant qu’il deviendra le plus grand succès financier de son réalisateur malgré les différentes polémiques et interdiction. Pour certain, Les Chiens de Paille a tout d’une invitation à la dépravation et à la violence. En réalité que n’est ni, la violence étant justement le point d’orgue du récit et la thématique central du film. La violence est peut-être le langage préféré des faibles d’esprit, mais il est aussi le seul mode de résolution efficace face à certain type de conflit. Une violence que condamne et réprime David se considérant comme un homme dit « civilisé » et donc au dessus de ses instinct primitifs. Pourtant c’est bien à cette violence qu’il va se livrer, en se rabaissant à la même bestialité que ses assaillants. C’est là aussi que l’on retrouve la patte du réalisateur de La Horde Sauvage et de son découpage frénétique dans l’action. Lui qui n’avait jamais fait autre chose que du western dans sa vie, ne pouvait pas s’empêcher d’y retourner, fusse t-il délocaliser dans les Cornouailles. Finalement, le couple aura fuit la ville pour se retrouver au plein coeur d’un déchaînement de fureur et de folie. Non content d’abandonner sa raison et ses convictions, David perdra aussi sa femme et son foyer dans l’équation. Derrière le vernis de cet idéalisme bobo, le constat est sans appel : l’homme reste un loup pour l’homme, qu’il soit pacifiste, issue d’un milieu institutionnel ou bien irascible et féroce, un animal sommeil en chacun de nous, prêt à ressurgir à tout moment.

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le 21 août 2023

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