Le dernier Wajda est une biographie sur les dernières années d’un artiste d’avant-garde majeur de la Pologne, Wladyslaw Strzeminski, malheureux bougre devenu estropié par la première guerre mondiale, à l’aube du régime soviétique polonais. Dépossédé de son art, ses œuvres sont interdites d’exposition, l’absurdité du régime soviétique prétendument « anti-impérialiste » et « révolutionnaire » est à son comble lorsqu’au restaurant Exotique, le bas-relief nommé Exploitation coloniale qui sert de décor est amené à être détruit, seul l’art de la propagande du « réalisme socialiste » a droit de cité. Ne se laissant pas faire, il est viré de son poste d’enseignant de l’École des beaux arts de Lódz et de l’association d’artistes dont il est le cofondateur. Mis au ban de la société, ne pouvant manger ou subvenir à ses besoins puisque sans emploi, il ne peut guère obtenir une carte de bon alimentaire et encore moins pouvoir prendre soin de sa fille, pour subsister il lui faut absolument un travail car « tout bon socialiste doit travailler », cependant il est fiché, on ne peut lui proposer un poste. Une organisation systémique efficace et cruelle qui sert bien à le réprimer, quoi de mieux pour faire taire une personne qu'en l'attaquant sur ses moyens matériel, seul une poignée d’étudiant-e-s avec qui il a pu travailler à son école se soucie de lui ainsi que cette femme, qui, l’espace d’un instant va le trouver inconscient dans la rue et appeler l’ambulance.


En son sein, le totalitarisme stalinien refuse toute individuation, nécessaire à la formation de son identité et ce qui a par ailleurs amené le peintre là où il est. Il n’y a guère qu’une « conscience collective » qui doit marcher sur les pas du leader à l’image des fascismes. Des individus qu’on doit formaté, dénué de conscience, le stalinisme n’étant derrière ses belles parures qu’un anti-intellectualisme, une non-démocratie et à son cœur un régime contre le peuple, « le peuple » n'étant qu’une novlangue représentant les intérêts du parti unique, toute déviation et subversion est fortement réprimé comme il est possible de le constater avec le portrait de ce peintre.


Par l’intermédiaire d’un de ses élèves, Strzeminski va trouver un travail d'apprenti, mais il se retrouvera à nouveau sans emploi car lui et ses fidèles étudiant-e-s sont sous surveillance. Étudiant-e-s amené-e-s soit à quitter le pays comme l’étudiante israélite ou enlever par la police secrète pour leur anticommunisme. Avant de mourir, il pose des fleurs qu’il a colorées en bleu avec le restant de peinture sur la tombe de sa femme duquel il n’a pas assisté à l’enterrement. À la fin, dans un plan rapproché sur son visage, il meurt derrière la vitrine du magasin où sont exposés les mannequins, les piétons passant, sans jamais se détourner de leur chemin et prêter attention à cet homme à terre, mourant de sa tuberculose. De l’indifférence de la mort dont seule sa fille Nika fera grand cas.


Pour son dernier métrage, Andrzej Wajda signe ici le portrait d’un artiste défendant son art face à la dictature, un homme qui vers la fin de sa vie a dû lutter, faisant face aux hasards de l’Histoire. Ne renonçant jamais à son intégrité et à sa vision. Un film testament de la génération des cinéastes polonais auquel Andrzej Wajda appartient, ainsi devons-nous nous souvenir d’eux comme nous devons nous souvenir de Wladyslaw Strzeminski afin qu’on ne puisse oublier leur histoire et l’Histoire, lesquels ont lutté à travers leur art en espérant que leurs combats ne soient pas vain. C’est avec cette œuvre contestataire que nous a quittés en octobre dernier le réalisateur polonais duquel on ne pourra lui amputer qu’une réalisation académique, éloigné de ses débuts, néanmoins maîtrisé.

Snervan
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le 26 mars 2017

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