Film (un peu franco-) hong-kongais de deux critiques français spécialistes de Tsui Hark et Johnnie To, Les Nuits Rouges base son pitsch autour de la fascination exercée par les châtiments du bourreau de Jade, exécuteur du premier Empereur de Chine. Une femme veut user du pouvoir si particulier dont le bourreau jouissait ; une autre cherche à vendre un précieux élixir qui permettrait à la précédente d’accomplir une légende ancienne. Notions fumeuses et visée onirique d’entrée de jeu.

Les Nuits Rouge marque la rencontre, pas si improbable, entre certains tics dignes du meilleur du giallo italien et le thème de la transcendance par la chair. Le premier avatar, probablement inspiration lointaine, se manifeste notamment dans l’exclusivité féminine et de façon générale par la sublimation d’obsessions, névroses et perversions via des attitudes, environnements physiques et ambiances à la fois chics et sordides. Quand à l’exaltation ultime, elle a été abordé par quelques cinéastes téméraires ; effleurée par exemple dans La Secte sans Nom et autrement explorée par Martyrs de Pascal Laugier, infiniment plus torturé et viscéral (axé autant sur les aspects spirituels que sensitifs). Le Bourreau de Jade vise ailleurs et se veut pur délice gratuit. Censés flatter la rétine, les exploits SM de cette série B interviennent dans une ville-monde clinquante et anesthésiée (Hong-Kong, nouvelle lumière du monde) ; c’est comme si l’univers à l’oeuvre avait chassé tout corps étranger pour s’approprier l’espace, purgeant l’exotisme local de tous parasites.

La narration semble flotter au gré de caprices. Le film est faible par ce qu’il raconte mais aguicheur par son univers. S’il finit par s’enliser, voir potentiellement ennuyer, par trop d’absence de fond (les personnages n’existent pas au-delà de leur enveloppe peaufinée), son maniérisme l’irradie plutôt que de le plomber. L’inlassable quête de splendeur abouti à quelques climax fétichistes d’une grande intensité ; le résultat ressemble à du The Cell appliqué au monde réel et largement "apaisé" -voir dévitalisé- (moins d’imagination et de visions à foison, mais néanmoins une délicatesse inouïe et, en commun mais là encore dans une moindre mesure, un charme vénéneux et certains effets épidermiques).

Manifestement conçue pour être consommée sans autre but qu’une délectation immédiate devant tant d’artifices et d’emphase, cette œuvre graphique et sensuelle semble cibler sa clientèle, or y a-t-il une unité parmi les geeks visés ? On imagine bien peu de monde se presser vers un tel objet ; peut-être que le décalage du casting français par rapport aux camarades asiatiques se fait, malgré lui, l’écho d’incompatibilités culturelles (et peut-être commerciales). Ou, plus basiquement, reflète une absence historique de sensibilité pour les cinémas de genre en France (d’ailleurs, les maestro nationaux n’obtiennent la reconnaissance qu’en partant vers d’autres contrées – c’est le cas, ici même, pour Carbon et Courtiaud ; cette manie de planter le décor systématiquement dans un ailleurs est tout à fait française et c’est une conséquence d’un dogmatisme global).

Un dernier mot justement sur les deux figures centrales ; si la maîtresse-cougar au sadisme odieux et raffiné est un monstre de torture suave et sans doute déjà une princesse de l’érotico-gore dans quelques esprits, Frédérique Bel semble moins sûre d’elle. Plus aventurière solitaire que femme fatale, elle est ici une sorte d’antihéros masculin sous les traits d’une femme froide et lunaire. Notons que la comédienne n’a pas encore beaucoup eu l’occasion de dévoiler son potentiel ni aucune facette significative au-delà de celle de la potiche de service ; malheureusement, elle passe de sous-exploitée à pas tout à fait à la hauteur, ou pas à son aise.

http://zogarok.wordpress.com/2012/01/15/seances-express-n1/

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le 29 août 2014

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