Noyés par la foule ou étriqués par les espaces vides, les protagonistes du premier long métrage de Tsai Ming-Liang, sous l'apparence d’adolescents en mal de leur monde, circonscrivent un problème inhérent aux nouveaux modes de vie urbains (plus particulièrement dans les villes de population dense) à travers leur propre nausée sociétale : la déshumanisation, la perte progressive d’identité et l’aliénation collective. Comme une descente dans les entrailles de la saleté urbaine, Les Rebelles du dieu néon tisse les trajectoires de jeunes dépravés et agrège à même leurs sillons sa géante autopsie de la société taïwanaise des années 1990, dans une image qui conjugue la surabondance visuelle des grandes villes à l’esthétique de la désorganisation du metteur en scène. Entravant la vue de sa caméra à l’aide de maints artifices environnementaux qui agissent tels de sublimes parasites esthétiques (que ce soit les néons, la pluie, le scintillement d’un écran ou le grain de la nuit), Tsai Ming-Liang offre une photographie agressive où la blancheur neurasthénique de l’éclairage contraste avec la saturation prononcée d’éléments disséminés au cœur du paysage visuel : la crudité de l’image semble alors répondre à la pauvreté et la tristesse du milieu dépeint par le réalisateur, pareils aux deux rouages d’un mécanisme qui s’imbriquent parfaitement.
Capturant ses héros à l’intérieur de divers cadres, Ming-Liang fabrique et délivre une vision morbide de la modernité où la surconsommation et la culture malsaine de la télévision creusent un inévitable gouffre au sein des âmes humaines et dans lequel s’immisce la solitude, enfant terrible de l’urbanité. Avec sa bande originale aux allures de leitmotiv, ponctuant brillamment les séquences de dénouement rythmique, ainsi que le schéma chromatique en triade développé par le réalisateur taïwanais, Les Rebelles du dieu néon égrène adroitement les singuliers motifs de son auteur qui, ultimement, reflètent l’impossibilité de chaque être humain à communiquer : le téléphone, l’ascenseur ou encore le frôlement de destins chez les deux protagonistes qui, bien que se juxtaposant, ne s’adresseront jamais la parole. Muni d’un regard foncièrement humaniste, le réalisateur insuffle au cœur des récits tragiques qu’il compose une délicate poésie s’apparentant à une échappatoire métaphorique : la mare d’eau du logis qui, perçue comme affreuse parce que symptôme de la pauvreté du personnage, moire avec beauté les murs et traduit, à la fin de l’œuvre, l’envie déraisonnable des protagonistes d’aspirer à mieux, de s’extirper du misérable de leur condition, comme s’ils parvenaient enfin à identifier le mal qui les ronge, la société qui les avilit.
Et l’œil de la caméra de se tourner vers le ciel bleu, d’un bleu porteur de chimériques promesses.