"Le drame à l'état pur"
Kubrick prouve encore une fois son génie et sa double obsession : la violence et l'histoire. Ici, il dresse le portrait d'hommes à la guerre, de français dans les tranchées. Ce sont des hommes et non une masse. Il est l'un des premiers à filmer le regard de ces hommes, morts de peurs, prêts à s'enfuir ou résignés. C'est troublant. Cela renforce considérablement la dramaturgie de la guerre.
Cela passe par une mise en scène belliqueuse. Ce no-man's land qui ressemble à un désert, cette sorte de musique militaire, sombre et glauque qui peuple tout le film. Même les obus de l'artillerie semblent chanter. Serait-ce ces sonorités terrifiantes, les chants de la gloire ? La gloire, une notion qui résonne dans tout le film comme une justification, en niant la lâcheté, l'individualité et tout simplement l'humanité. La Marseillaise résonne au début du film. Mais qu'est-ce que La Marseillaise si ce n'est un chant d'une violence inouïe et d'un patriotisme révolu ? Kubrick dépasse ici son sujet historique car il traite de question qui a l'époque n'était qu'en germe, à savoir la remise en cause du patriotisme, le droit à ne pas se battre. Mais c'est en posant ce regard contemporain sur la passé qu'il parvient à faire ressortir toute la tragédie de la guerre.
Puis, il y a cet échec programmé, rationnel. D'abord une évaluation cartésienne des pertes et un entêtement humain ensuite, au nom de la gloire. Qui portera le chapeau de la défaite ? Personne, si ce n'est des soldats du front, une chair à canon. C'est un classicisme racinien. Quoiqu'il se passe, la mort est inévitable. Mais, personne ne pensait la voir venir de son propre camp.
La façon dont est filmée les tranchées renforce la tragédie et l'inexorable cheminement vers la mort.
Découpage du film exceptionnel
Au-delà de l'aspect tragique, il y a évidemment la dénonciation, chère à Kubrick. Elle passe par un découpage du film exceptionnel. Tout d'abord, ses généraux, reclus dans ce somptueux château, ne comprennent rien du front. Ils commentent et décident de qui va aller combattre, sans y aller eux-mêmes. Loin, très loin des tranchées et de la boue. Cette opposition front/arrrière est la clé du film. Elle illustre le décalage et l'absurdité du conflit et l'opposition entre l'idée de la guerre et la guerre. Cela renforce également la froideur du film, qui refuse le sentiment, comme un brave soldat. Mais, en misant sur cet aspect purement bureaucratique et froid de la condamnation, Kubrick fait émerger une véritable dénonciation de la guerre, son absurdité et fait de ces soldats pleutres et lâches de vrais héros.
Interrogation de la morale en temps de guerre
L'ennemi est à l'intérieur. La mort viendra des généraux, qui ne comprennent plus le conflit. Obtus, ils condamnent.
Le procès est perdu par avance, les individus sont niés. Ici, c'est la loi de la jungle. Il faut sauver sa peau, quitte à condamner l'autre (on condamne son rival, on condamne des témoins, pour se protéger). L'absence de moralité, les circonstances exceptionnelles n'excusent pourtant pas. Kubrick introduit la notion de crime de guerre et met en avant la notion de justice, coûte-que-coûte. Mais rien y fait. On comprend que la guerre vient avilir l'homme et le rend à l'état de bête, incapable de discernement. Le véritable ennemi est peut-être celui qui nous cotoie car à la fin, lorsque les soldats français tombent sous le charme de la chanteuse allemande, personne ne semble voir en elle l'ennemi qu'elle est (et on ne voit aucun allemand du film, montrant que le véritable ennemi est bien sa propre armée). Terrible tragédie sur l'inutilité de la guerre, sur la vanité et la vacuité du combat, de la recherche de la gloire. Les sentiers de la gloire sont couverts de barbelés. Un film jugé scandaleux par l'Etat français qui l'interdira durant plusieurs années. On comprend bien pourquoi.