Lucienne dans un monde sans solitude est u̶n̶e̶ ̶c̶l̶a̶q̶u̶e̶ un court-métrage d'une grande beauté et d'une grâce infinie, d'une intelligence fine et d'une immense noirceur... parce que ça parle d'amour et qui dit amour dit déboire. Tous ceux qui pensent qu'il est facile d'aimer, de jouir d'un autre à soi – d'un être à soi –, d'embrasser ses lèvres sans que s'ajoutent à ces rituels leur symétrie parfaite célébrée par un double, dans la même pièce, n'y ont tout simplement jamais pensé. Parce qu'autrement, à part ça, il est facile d'aimer. Pour peu que l'on trouve la personne qui parvient à tout ouvrir sans faire grincer les gonds, sans forcer rien le scénario des gestes épinglé au mur des cheveux qu'on effleure, subrepticement, pièce secrète qui fait basculer le cœur dans un espace fertile où on sent couler ça, ça qui est un banc de poissons légers et frétillants dans le fleuve intérieur où hier encore, l'espoir gris et maussade fossilisait.
C'est un autre possible, un monde nécessairement dystopique où l'ingrédient solitude semble avoir été égaré, totalement absent du logiciel. Posséder un objet à soi, une breloque sacrée, manipulée par une seule paire d'yeux, de rêves, de mains, dont on jouirait seul, n'est pas possible. Faire l'amour sans la présence de son double, c'est vouloir se cacher, vouloir jouir d'une intimité illégitime et est considéré comme pervers, inconcevable.
Ainsi, le malheureux qu'on aperçoit sans son double, parti fumer, boire, humer la fraîcheur du soir est immédiatement lynché, voire tué.