Hasard du calendrier, les salles françaises accueillent presque successivement deux premiers long-métrages indiens : Titli de Kanu Behl (sortie le 6 mai) et Masaan de Neeraj Ghaywan (sortie le 24 juin). Présentés dans la section « Un Certain Regard » à Cannes – le premier en 2014, le second en 2015 –, ils symbolisent la vivacité d’un jeune cinéma indien profondément marqué par les enjeux des cinémas du Sud. Les deux réalisateurs proposent un cinéma social et réaliste pointant du doigt les travers d’une société corrompue. Œuvre moins intéressante, Masaan est pourtant la seule adoubée par Cannes d’où elle est repartie avec le Prix Spécial « Un Certain Regard ». Comment expliquer alors la mise en avant du cinéma de Ghaywan ?


Masaan est l’archétype même du réalisme social des cinémas des pays émergents cherchant à attirer le regard des spectateurs occidentaux sur les travers de leurs propres sociétés « en voie de développement ». Paradoxalement occidentalo-centrée, l’œuvre de Neeraj Ghaywan se présente comme une sorte de manuel de l’écrasement social à Bénarès. Les dialogues suivent cette logique didactique par le biais de personnages vivant les mêmes schémas sociaux mais s’expliquant pourtant les tenants et les aboutissants de la société indienne. L’œuvre fonctionne néanmoins dans cette énième confrontation entre deux mondes monolithiques, la tradition et la modernité, au travers de trois récits entrecroisés.


La richesse de Masaan est justement de présenter par le biais de Deepak (un jeune homme d’une caste pauvre amoureux d’une jeune femme d’une caste élevée), de Devi (une jeune étudiante prit dans un « scandale » sexuel) et de Pathak (père de cette dernière victime d’une corruption policière) le portrait des différentes strates sociales de Bénarès, cité sainte de l’hindouisme. Cependant, l’œuvre se perd dans cette diversité ne laissant pas assez de place à chaque histoire pour se développer et ne pas être qu’une suite de scènes clés. Cela se ressent surtout dans le parcours de Deepak et de sa romance, assez stéréotypée, construite en quelques scènes et dont la force paraît alors surinterprétée. Masaan est rattrapé par son ambition préférant le poids de la quantité plutôt que l’approfondissement psychologique d’un destin unique.


Le problème de Masaan réside enfin dans l’imposition d’un misérabilisme d’autant plus dérangeant qu’il est le fruit du scénario écrit par Varun Grover. Les personnages répondent aux cahiers des charges du réalisme social international en partant en quête d’un avenir meilleur. Mais ce comportement se retrouve vain en n’étant non pas écrasé par le poids d’une Inde traditionnelle – comme l’œuvre tente de le montrer – mais par un fatalisme scénaristique. L’œuvre tente alors d’apporter une lueur d’espoir dans un quotidien qu’il contribue sciemment à noircir.


Néanmoins, Masaan n’est pas un mauvais long-métrage encore un moins un mauvais premier long-métrage. Il s’inscrit seulement dans un certain formatage d’un cinéma non-occidental ciblant les publics occidentaux. L’instrumentalisation du caractère dramatique de ces récits atténue, mais n’annihile pas, les dénonciations de la société indienne que Neeraj Ghaywan veut partager.

Contrechamp
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le 4 juin 2015

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