Dans la grande tradition des films à sketches, Necronomicon ne fait pas exception dans la disparité et le déséquilibre de ses histoires ayant en commun d’appartenir à l’univers de H.P. Lovecraft. On retrouve d’ailleurs l’écrivain comme principal « narrateur » et fil conducteur du long-métrage, et qui de mieux pour l’interpréter que l’acteur Jeffrey Combs que l’on reconnaît bien là malgré son faux menton proéminent. L’acteur a énormément contribué aux adaptations de l’artiste torturé, on le connaît notamment pour son rôle du Dr Herbet West dans Re-Animator, mais on l’a également vu dans From Beyond, Castle Freak, ou encore The Lurking Fear. En ce qui concerne l’auteur, les intellectuels se sont toujours demandé d’où pouvait bien provenir son imagination. L’écrivain se serait contenté de puiser celle-ci dans ses cauchemars récurrents avec les hommes poissons, sa panique du cosmicisme considérablement influencé par sa fascination pour l’ésotérisme et l’infiniment grand, même si son athéisme, sa xénophobie et sa parano obsessionnelle ont certainement eu un grand rôle à jouer là-dedans. Une parano qui anime justement le principal segment de ce recueil avec cette bibliothèque gardé par des moines soldats veillant à la sécurité du fameux Necronomicon véritable objet de culte rendu célèbre pour sa représentation dans la saga Evil Dead mais inventé de toute pièce par Lovecraft. Brian Yuzna à l’initiative de ce projet se propose en quelque sorte de dévoiler l’origine de ses inspirations, où comment conjurer l’angoisse de la page blanche en puisant dans les pages du grimoire maudit qui vont lui souffler l’idée de trois nouvelles horrifiques.


L’avantage d’une anthologie c’est aussi de permettre à d’autres talents d’éclore en veillant à rester en adéquation avec les impératifs de production comme celui de Christophe Gans qui souhaitait alors sortir de sa zone de confort. L’apprenti cinéaste jusqu’alors journaliste chez Starfix va vivre son baptême de l’horreur mais s’en tirera avec les honneurs en signant carrément le meilleur segment et de loin. Seulement 6 jours de tournage, et un budget de 600 000 $, c’est peu au regard de l’ambition démesuré du jeune français qui devra faire preuve d’ingéniosité pour palier aux contraintes de tournage où il ne sera pas épargné par son lot de galères qui en aurait décourager plus d’un à sa place comme son chef opérateur qui préférera prendre ses jambes à son cou. La défection du second réalisateur Shusuke Kaneko n’arrangera d’ailleurs rien à l’affaire puisque Yuzna et Gans se renverront la balle pour la post-production du deuxième sketch. Le premier « The Drowned » emprunte d’avantage à l’univers macabre de Edgar Allan Poe avec l’histoire de ce dandy héritant d’un vieux manoir décrépit au sommet d’une falaise. Le propriétaire toujours meurtri par la mort de sa femme va tenter de la ramener à la vie comme l’avait fait son prédécesseur sans même se douter qu’il va accidentellement réveiller des forces et créatures enfouies dans les profondeurs abyssales. L’oeuvre est censé être une adaptation de The Rats in the Wall, mais le réalisateur choisi judicieusement de prendre ses distances afin de ressusciter le gothique de la Hammer et du bis italien marqué par les oeuvres du père Mario et de son fils Lamberto Bava, auquel il mêle romantisme, fatalisme et onirisme dans un récit à l’atmosphère lugubre et malsaine. Il évite par ailleurs l’erreur du débutant qui consisterai à ne faire qu’un pastiche grossier de ses influences qu’il marie avec un réel sens des convenances.


The Cold s’avère déjà beaucoup plus fidèle à la nouvelle dont il s’inspire puisqu’il raconte l’enquête d’un journaliste arriviste sur une série de meurtres perpétrés 20 ans plus tôt. Comme la précédente histoire, il y est question d’outrepasser la mort. L’assassin vit dans une glacière et utilise le collagène distillé de ses victimes afin de préserver éternellement son enveloppe charnelle sans quoi il se décomposerai sous l'effet de la chaleur. Ce chapitre est beaucoup plus lent, forcément moins impressionnant, mais la manière dont le récit inocule son intrigue comme son poison a tout de même le don d’être assez raccord avec le thème abordé. L’échec est d’ailleurs relatif compte tenu de l’abandon du Japonais. En revanche, la dernière histoire intitulé Whispers devrait contenter les amateurs de gore , puisque Yuzna y étale toute sa fascination dévolue pour le genre dans une atmosphère claustrophobique et organique digne de Clive Barker. Il met en scène une policière enceinte entraîné par un couple de marginaux dans un horrible charnier de corps mutilés envahi par des entités maléfiques se nourrissant de l’essence vitale humaine ce qui lui permet également d’aborder frontalement le sujet de l’avortement. Un sommet de dégueulasserie légèrement entaché comme d’autres séquences moins convaincante du film par quelques effets visuels certes moins réussi mais qui témoignent également d’une production plus chaotique que le résultat ne pourrait laisser penser. L’argent reste le nerf de la guerre malgré toute la volonté du monde, mais c’est aussi grâce à ces contraintes techniques et artistiques que les créateurs seront parvenu à se dépasser pour restituer le sentiment de cauchemar infernal suscité à la lecture des recueils de l’auteur même s’il aura fallu pour cela en accoucher dans la douleur. L’enfer reste toujours pavé de bonnes intentions.

Le-Roy-du-Bis
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le 3 nov. 2023

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