"Ne leur dites pas que la justice humaine est mal fondée à les punir."

Dans les années 50, André Cayatte était vraisemblablement un amateur de films à thèse, et avec le temps la rigidité des démonstrations s'est quelque peu accentuée pour en faire aujourd'hui des œuvres plus ou moins poussives, avec parfois des accents un peu trop naïvement idéalistes (à l'instar de l'opiniâtreté d'un jeune juge dans Le Dossier noir) tout en construisant à d'autres occasions des discours qui ont mieux résisté aux 70 années écoulées (l'épreuve du procès d'une femme dans Justice est faite). Nous sommes tous des assassins, même s'il se fait très didactique par moments et globalement très conventionnel dans sa mise en scène, appartient à mes yeux davantage à la seconde catégorie.


Notons au passage une ressemblance assez perturbante entre Marcel Mouloudji (dans le rôle principal) et Daniel Gélin qui a occupé mon esprit durant la totalité de sa présence, la figure de ce dernier revenant systématiquement sous certains angles. Au-delà de l'anecdote, c'est un film qui brille par la pluralité de ses personnages secondaires et par la finesse de leur écriture. Que ce soit Marcel Pérès en condamné épileptique, Antoine Balpétré en médecin accusé d'avoir empoisonné sa femme, Louis Seigner en religieux opportuniste, Raymond Pellegrin en truand corse, Renée Gardès en matriarche Le Guen et même Georges Poujouly en petit gavroche, tous concourent à un tableau très riche de la société française de l'époque. Chacune des atmosphères est travaillée, en prison avec les condamnés à mort qui attendent leur tour dans une torpeur étouffante, ainsi que dans les différentes cellules familiales qu'elles soient paysanne, modeste ou bourgeoise.


Tout part d'une continuité (qui n'aurait pas dû exister) dans la trajectoire du personnage principal René Le Guen, un gars qui s'est retrouvé un peu malgré lui dans la résistance à la fin de la guerre et qui n'a pas bien cerné les conséquences concrètes de la fin du conflit. Un gars paumé, embrigadé dans un mouvement sans conviction, un peu comme Lacombe Lucien côté gestapo, qui ne voit pas la différence entre tuer des Allemands avant et après l'armistice et qui ne comprend pas tout de suite pourquoi la justice lui tombe dessus. En prison, ce n'est qu'un assassin parmi d'autres, juste plus paumé que ses camarades de cellules. L'occasion pour Cayatte de décrire de nombreuses catégories sociales, les condamnés, les gardiens, les avocats, les prêtres, les juges, etc. C'est dans ces moments que Nous sommes tous des assassins fait preuve de la plus grande pertinence, avec une pluralité appréciable de comportements et de points de vue, à la différence de séquences qui souffrent d'un didactisme pesant — le meilleur exemple étant le plaidoyer du médecin, au demeurant pertinent dans le fond, insistant lourdement sur la supériorité de la prévention par rapport à la condamnation à mort pour l'exemple, avec le cas d'un condamné récemment opéré et guéri comme par miracle.


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Morrinson
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le 12 nov. 2023

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