"After all, you're my wonderwall"

Dans le paysage de la nouvelle vague coréenne, Lee Chang Dong tient une place à part. Loin des thrillers nerveux de Park Chan Wook ou Kim Jee Woon, à laquelle celle-ci a souvent été réduite, Lee officie dans un registre bien plus "auteurisant", naturaliste, plus proche donc d'un Hong Sang Soo. Bien que courte, sa filmographie se démarque par une grande intelligence narrative, où l'on décèle la patte du romancier, ainsi que cette volonté de dépeindre sans concession, sans fard, les travers de la société coréenne et plus particulièrement l'inouie violence sourde qu'elle peut faire subir à ses individus.

C'est bien évidemment le cas ici, avec Jong-Du, fraîchement sorti de prison pour homicide involontaire. Dès les premières images, la mise en scène nous indique subtilement mais très efficacement tout le décalage de Jong-Du avec le monde. Il nous apparaît en chemise manches courtes quand tous ceux qui l'entourent sont emmitouflés dans de chauds manteaux. Limpide. Jong-Du est en marge de son environnement, du monde, des autres. Il est un authentique cassos, inadapté socialement (et sous-entendu légèrement déficient mental) et dès lors sa vie nous apparaît comme un long chemin de croix. D'ailleurs il ne tarde pas à avoir de nouveaux ennuis avec la police.


Cependant l'improbable se produit. Jong-Du trouve son âme sœur et tombe amoureux d'une autre marginale. Gong-Ju est même quelque part son miroir : il est déficient mental, elle est handicapée moteur. Il vit avec sa famille mais celle-ci l'insulte et l'humilie en espérant le voir se responsabiliser, elle est exploitée par son frère (qui profite de son état pour obtenir un bel appartement) qui la laisse seule dans un taudis à peine salubre mais lui parle gentiment quand il lui rend visite. Tous les deux sont la face d'une même pièce.

Ensemble, en secret (car Gong-Ju est la fille de l'homme que Jong-Du a tué), ils vont vivre leur idylle, constitué de moments somme toute banals, mais d'une pureté incroyable et qui se teintent au fur et à mesure d'une poésie douce qui culminera avec cette pure rêverie, cette danse à laquelle se mêle la tapisserie de la jeune fille, prenant vie pour quelques instants. Fidèle à ses principes, Lee Chang Dong nous filme la beauté de ces moments en toute simplicité, sans effets de mise en scène appuyés, évitant toute artificialité malvenue.


Cependant le film nous avait prévenu. Dès son titre, dès sa première image. Il ne s'agit là que d'une oasis dans l'immensité sèche et sans compassion d'un désert, une parenthèse enchantée qui doit donc prendre fin. C'est là toute la force de la structure narrative du film : un ascenseur émotionnel constant entre les scènes galvanisantes de l'intimité amoureuse de ces êtres à-parts, contredites à chaque fois par un brut uppercut de retour à la réalité sociale du monde qui ne veut pas d'eux. On mentionnera notamment cette fantastique scène de repas de famille où un Jong-du tout guilleret amène Gong-Ju pour la présenter à des proches médusés qui n'y voient que de la provocation. La scène joue sur un fil admirable entre le malaise social légitime de la situation, la drôlerie qui résulte de l'incompréhension et la compassion que l'on a pour notre personnage principal qui ne pense jamais à mal, toujours armé des meilleures intentions.

Et dans cette alternance de scènes émotionnellement contraires dont l'intensité va crescendo, c'est au moment où l'amour des deux personnages est le plus évident (ils couchent ensemble) que le secret est découvert et que la société se montre la plus aveugle. Une terrible injustice dans laquelle la profonde incompréhension de nos héros par leurs familles ainsi que leur méchanceté se révèlent bruyamment.


Lee Chang Dong nous propose donc une romance brillante, évitant les nombreux écueils dont l'on pouvait présager avec un tel sujet (pathos, misérabilisme, complaisance, etc...), sans pour autant négliger l'aspect social et engagé de son cinéma. Autant onirique et euphorisant que déchirant, Oasis est un merveilleux voyage en plein désert, l'œuvre la plus émouvante de son auteur.


Porc_Parfum
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le 25 oct. 2022

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