Filth, autopsie d'un film incroyablement intelligent.

Il faut avouer que j'ai prit un temps fou à voir ce film.
Sur un coup de tête, je me suis dit : ce soir, je regarde ce film.

Film réalisé par Jon S. Baird, basé sur le roman de Irvine Welsh, auteur Ecossais (Trainspotting, The Acid House...), sorti en salle en 2013 sur la douce voix-off à l'accent d'Edimbourg de Bruce Robertson alias James Mc Avoy et de Carole Robertson alias Shauna Macdonald (ce qui est intéressant étant donné que Mc Avoy porte originellement l'accent de Glasgow, oui il y a une différence palpable). C'est ainsi que les Roberston nous racontent ce qu'est "le jeu" de la vie.

Ce n'est pas que la bande d'annonce.
Lucy vas te recoucher, voilà un véritable hommage à Stanley Kubrick. Dans le genre "référence au maître", je n'ai encore jamais vu aussi sincère. Clairement Baird a comprit le style de Kubrick et il a su, sans plagier, faire de ce film un clin d’œil à son travail. Au delà des centaines de milliers de références (Clockwork Orange, Eyes Wild Shut, 2001 l'odyssée de l'Espace, Lolita... Littéralement tous les films de Kubrick), soigneusement travaillées pour leur donner vie, il y a l'ambiance, la personnalité du film, des personnages, l'absurde... Néanmoins Filth ne perd pas son style, il n'est pas qu'une vague copie des travaux de Kubrick, mais une véritable oeuvre cinématographique signée qui d'une pierre deux coups, redonne vie aux films qu'on a trop souvent revus.

De plus, il y a un travail incroyablement fin dans la technique de ce film. Je prône toujours le côté technique du film autant que le côté artistique, et voilà un fin mélange. La lumière pâle, couleurs froides, presque surréalistes, contrastes élevés (rouges très rouge, bleus très bleus)... Le travail de la couleur est à applaudir. Il n'y aucune faute de goût, on ne dépasse jamais la limite du kitsh, du too much.
L'image est vraiment incroyablement nette et j'admire le découpage des plans. Les plans vivent d'eux même, les gros plans ne sont pas des gros plans au hasard, les plongées ne sont pas hasardeuses, tout est si minutieux qu'on ne puisse interpréter chaque plan que d'une manière, une seule. Ça mes amis, c'est de l'art. Et bien sûr parlons du montage. Quel montage. Montage qui suit le point de vue d'un personnage drogué, névrosé, sujet d'hallucinations. On se rappelle vaguement du film Gainsbourg vie héroique, Donnie Darko... Le montage émeut. Et lorsqu'il est découpé par ellipse équivalent aux blackout du personnage, et lorsqu'il le suit dans sa défonce. Ce n'est pas simplement une caméra épaule qui tourne pour dire "regardez, je suis bourré, c'est flou, ça tourne." Non, la caméra sur pied nous fait ressentir le tournis sans avoir besoin de nous le donner. Les images parlent.

Le jeu d'acteur est absolument incroyable, James McAvoy est méconnaissable, bouleversant. Et les personnages secondaires ne sont pas que des personnages secondaires, ils sont en vie, ils sont touchants, ils sont intéressants, ils sont travaillés, ils ne sont pas laissés au libre-arbitre, les acteurs ne sont pas des faire-valoir, ils sont leurs personnages.
Le personnage de McAvoy est un enfoiré de première qui a tous les sentiments du monde. C'est un personnage en lequel on croit, de qui on devient les complices et non plus les spectateurs.

La BO est parfaite, discrète, rien à dire, terminant sur Creep. Oui, c'est propice.

Je termine par le scénario qui est mis en place de manière des plus complexe et des plus incroyable. C'est une explosion de réalisation, où l'intrigue n'est pas dévoilée avant au moins les 3/4 du film. Ce n'est ni long, ni maladroit, c'est du génie. La voix-off nous guide, nous montre que quelque chose cloche, ainsi que les flou artistiques, mise en scène d'hallucinations auditives et visuelles, les détails, les regards de Bruce... Tout est dit dans les détails et c'est au bout de 10mn d'introduction qu'on voit le personnage de Bruce se masturber devant un porno et qu'on se dit déjà "Cette scène n'a rien à foutre là si j'en crois ce que je viens de voir ces 10 dernières minutes."
Et en effet.
Ce film manipule votre esprit suivit d'un plot twist qui vient comme un coup de poing sur le coin de la gueule.




[SPOILER, si vous ne l'avez pas vu, allez directement à la conclusion]



C'est ainsi que comme un coup de feu, on se rend compte que la voix-off nous criait au mensonge depuis le début. Elle n’alternait pas. Elle n'était qu'une. tout n'était qu'une suite, pas de flashback, seulement des ellipses. Le film, trompeur, nous montrait les hallucinations de McAvoy mais aussi ce qu'il voyait de son dédoublement de personnalité. Bien entendu. C'était dit et on ne s'en est pas rendu compte, comme une énorme masse derrière nous qu'on ne remarque qu'au bout de quelques heures et qu'on se dit "Mais oui, ça a toujours été là."
Ce n'est pas que le plot twist, c'est la manière dont il est tourné, comme une évidence. C'est du niveau de Lynch, cette fin.
Et le psy qui fait oeuvre de conscience. J'applaudis littéralement. Tout dans ce film n'était qu'une suite de "fusil de tchekhov" pour en venir à la même conclusion qu'au début.
Ce n'est pas qu'une simple descente en enfer, il n'y a pas eu de descente, du moins pas durant le lapse de temps que relatait le film. On commence alors qu'on est déjà en enfer. Et c'est au fur et à mesure que le film nous montre ce qu'on vit depuis le début sans le savoir, mais qu'on vivait quand même.

J'ai du mal à considérer ce plot twist comme un simple acte schizophrène, ayant étudié la schizophrénie, je pense surtout que ce film va bien plus loin que ça, bien plus loin qu'un homme fou, mais d'un homme brisé, un homme rongé par le remord, la culpabilité, la peur de ne pas être à la hauteur, la peur d'être moins bien, par la drogue, le complexe d’infériorité, le sentiment d'abandon qui joue comme leitmotiv au fur et à mesure du film... C'est un plot twist qui n'en est pas un, on ne nous parle pas d'une maladie mentale, (le personnage est de toute manière psychotique), on nous parle d'une manière de vivre sa vie et de céder face à la peur et la souffrance. Ce film est un génie dans sa manière de nous montrer la vie en tant que ce qu'elle est, dans ses pires états, dans ses noirceurs de l'âme. Ce n'est pas de s'identifier au personnage, c'est de voir qu'il est humain.





[/ FIN DU SPOILER]





En conclusion, je dirais que ce film est un pur chef d'oeuvre, une définition de l'art cinématographique, une notion étroite entre technique et vague artistique, entre hommage et création. Cette adaptation sait adapter, parce qu'elle s'empare de l'oeuvre pour en faire de la magie.

Il m'a bouleversé comme rarement un film ne l'a fait, en faisant littéralement exploser mes émotions, passant de la tristesse au rire, à la peur, à la méfiance... Ce film est glauque, ce film est a ranger à côté de Donnie Darko, et ce film est à voir absolument. Ce film n'est pas lourd comme pourrait l'être un Kubrick, il danse avec les méandres de votre esprit jusqu'au générique, et après. Je conseille définitivement ce film qui m'a personnellement poussé à m'inscrire sur sens critique juste pour vous faire parvenir mon enthousiasme. Je n'ai rien a redire sur ce film. Rien. Il est cynique, séduisant, glauque, intelligent et gracieux. Je lui fais l'amour, à ce film.
Wow.
Juste Wow.
Captain_Bill
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le 12 oct. 2014

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Captain_Bill

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