1. Dans une Amérique plongée en pleine crise des missiles cubains, un producteur de films d’horreur de série B, Lawrence Woosley (John Goodman), s’obstine à maintenir la projection de sa toute nouvelle œuvre au New Jersey, avec un dispositif innovant uniquement dans les salles visant à surprendre les spectateurs.


De ce postulat de film d’époque, Joe Dante délivre un geste de cinéma sublime avec Panic sur Florida Beach (Matinee en version originale). Loin des facéties monstrueuses des Gremlins (1984), le cinéaste américain arrive toutefois à conserver une malice dépaysante dans le portrait d’un monde en proie à une crise politique. Seul rempart contre la pression du réel qui s’offre à la jeune génération ? La salle de cinéma bien sûr, dépeint à travers une séquence en vue subjective comme un monde à part, un cocon pour qui souhaite prendre goût à la fiction. C’est le cas de notre héros Gene (Simon Fenton), garçon vivant dans une base militaire avec sa mère et son frère. Répétant les mesures de protection enseignées à l’école, écoutant malgré lui les bulletins d’infos qui interrompent ses programmes favoris, le jeune garçon se rend dans son cinéma de quartier comme à l’intérieur d’un refuge pour passionnés de fictions en tout genre. Ce garçon admiratif des fictions de science-fiction type série B, c’est le miroir juvénile de Dante, passionné par les monstres radioactifs mais lucide sur le monde qui l’entoure. Prenant parti pour les petits rêveurs, le réalisateur célèbre le cinéma de quartier comme une réunion chaleureuse entre « dévoreurs » de la pellicule et simples curieux. Le cinéma a ainsi un pouvoir fédérateur malgré un contexte extérieur pesant. Justement, les films « monstrueux »projetés durant les années 50 résonnent avec les préjugés sur la science, les radiations donnant lieu à des créatures intimidantes devenant une image cathartique des angoisses du public. C’est par cet aspect collectif et social que Dante réussit un brillant hommage au cinéma de quartier, au système D ainsi qu'aux effets spéciaux d’antan à travers la personnalité enjouée de Lawrence Woosley, miroir du producteur William Castle. Celui-ci apportait l’ingénierie au sein des salles de projection, créait des séances attractives par l'animation de la salle en lien avec ce qui se déroulait à l’écran. A l’aide de ce parallèle, Matinee met en évidence l’identité protéiforme du cinéma, à la fois une industrie férue de techniques pour attirer la masse et une porte ouverte vers le divertissement sensationnel. Là où L’Aventure Intérieure (1987) citait de manière amusée L’Homme qui rétrécit (1957), le réalisateur s’offre avec ce film sorti en 1993 le plaisir de réinventer Tarantula (1955) du même Jack Arnold, à travers le film, intitulé Mant!, projeté dans sa propre fiction - une métafiction. Plus que tout, à la manière d’autres auteurs écrivant pour la jeunesse, tels Roald Dahl avec Matilda ou la Comtesse de Ségur pour Les Malheurs de Sophie, l’ordre est renversé dans la salle de cinéma. Les adultes adoptent des comportements infantiles face à ce qui les submerge, alors que les enfants gardent la tête froide et respirent en allant regarder des fictions échos à leurs peurs les plus irrationnelles.


C’est peut-être cela le secret de cette pépite méconnue de Joe Dante : goûter au plaisir de transmettre des histoires qui résonnent comme allégorie des problèmes du monde réel, peu importe les conséquences extérieures. Goûter simplement à l’expérience de se retrouver, ensemble comme en soi-même, dans la salle obscure.

Max_Sand
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le 31 oct. 2021

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