J'ai beaucoup apprécié ce film dont l'action se déroule dans l'Allemagne de 1927...il a, entre autres, bousculé une image acquise durant les leçons du secondaire...C'est-à-dire que, à travers quelques cours d'histoire un peu médiocres, l'Allemagne de l'après guerre m'a toujours paru une nation « exsangue », totalement miséreuse et peinant à se reconstruire.


Cette déformation naïve forçait alors dans mon imaginaire une représentation misérabiliste et dépressive de toute la nation allemande; sous l'impulsion du film, je me suis piqué de quelques recherches rapides à gauche à droite (sur le net et dans quelques bouquins) pour affiner un tantinet cette vision...


Grosso modo j'en retire que cette misère fut bien réelle au niveau prolétaire mais que la classe « bourgeoise » (celle qui avait profité de l'industrie de guerre), après la reconstruction du pays a vécu avec entrain l'ambiance des années folles.
C'est donc, dans toute l'Europe, une période qui voit l’avènement de nouvelles industries, de nouveaux modes de consommation également...les femmes ayant découvert de nouveaux espaces de libertés tandis qu'elle faisait tourner le pays en l'absence des hommes revendiquent progressivement le droit de disposer d'elles-mêmes, les hommes qui reviennent de la guerre, où les tranchées occasionnaient un brassages entre toutes les conditions sociales, sont imprégnés d'idéaux démocratiques et sans doute le souvenir de l'horreur des champs de bataille pousse-t-il à vivre avec une intensité nouvelle (on trouve des auteurs qui fondent les racines du couple moderne i.e « centré sur la réalisation individuelle et non plus patrimoniale » dans ce traumatisme de la première guerre « industrielle » )...En 1927, en Allemagne, c'est la république de Weimar dans laquelle se vit un fort foisonnement artistique (expressionnisme, bauhaus...) et une forme de libération sexuelle...Bref, période de grosse mutation/transition qui semble fort intéressante à explorer.


Dans cette effervescence particulière, « Parfum d'absinthe » se propose de raconter la tragédie des étudiants de Steglitz : un fait divers berlinois qui implique un groupe d'adolescents oisifs, riches et fiévreux, jouant à exalter la vie, la mort et l'amour.


Le récit relate les souvenirs d'un jeune homme d'origine modeste (excellent Daniel Brühl), un peu poète – qui écrira d'ailleurs un livre sur lequel est basé le film – qui passe ses vacances d'été avec un ami de classe, un jeune bourgeois jouissant d'une maison de campagne superbe, au bord d'un lac où se donne des fêtes débridées...Des fêtes qui sont quasiment le labo des sensations, puisque ces jeunes gens, tout en fleur et dans le plus libre emploi de leurs charmes, traquent le ressenti avec une ardeur obsessive.


Un peu comme dans ces labos que, selon les codes du cartoon, les savants fous font péter, on assiste ici à l'explosion des sentiments foutraques abandonnés à la pulsion dans toute la cohabitation paradoxale de la haine et de l'amour ... L'illustration m'a semblé juste quoique trop impassiblement descriptive et sans enjeu; il n'empêche que cette manière d'exiger le « ressentir plus», le « ressentir plus fort », dans le genre sensationnalisme (hyper)romantique était fort bien rendue.


J'ai adoré justement la mise en forme de cet autre aspect paradoxal du romantisme exalté de cette jeunesse : c'est beau, comme un bouchon trop loin, comme l'énergie débordante de l'excès mais c'est con, comme un non-sens...Et, à propos de cette « connerie », il faut voir ce groupe de jeunes inventer les règles d'un « suicide club » où l'on tue mais « que par amour »...


J'avoue que ça m'a donné envie de relire le passage sur l'amour qu'Henri Laborit écrivait dans son « Éloge de la fuite », je crois finalement m'accorder avec le scepticisme éclairé du biologiste qui commence par nous présenter l'amour comme le mot miracle avec lequel on « valide tout sans jamais chercher à savoir ce qu'il contient » et qui nous dit en chemin:


« Le seul amour qui soit vraiment humain, c'est un amour imaginaire, c'est celui après lequel on court sa vie durant, qui trouve généralement son origine dans l'être aimé, mais qui n'en aura bientôt plus ni la taille, ni la forme palpable, ni la voix, pour devenir une véritable création, une image sans réalité. Alors, il ne faut surtout pas essayer de faire coïncider cette image avec l'être qui lui a donné naissance, qui lui n'est qu'un pauvre homme ou qu'une pauvre femme, qui a fort à faire avec son inconscient.»


Du coup, « parfum d'absinthe », « Was nützt die Liebe in Gedanken », « À quoi bon l'amour en pensées »...C'est un film qui, sans en avoir trop l'air, est assez dense et qui a eu une certaine tendance à me faire réfléchir.


Et, comme il est peu connu, il me semble qu'il vaille la découverte !

Luxien
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le 14 mai 2016

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