Un film, deux lectures... plusieurs raisons de s'y attarder ?

Le film de Zhang Yimou est - comme très souvent - serti des plus grandes qualités mais aussi des plus grands défauts du réalisateur. La beauté des images, une habile direction d'acteurs, des séquences d'action efficaces... Mais aussi quelques effets esthétisants dispensables et un côté action un peu subsidiaire dans ce qui aurait été plus judicieux en simple film intimiste.
Mais The Flowers Of War reste beau, tant graphiquement que dans son traitement des personnages. Zhang Yimou n’a pas son pareil pour dépeindre des personnages féminins intenses en quelques images, rendant hommage avec élégance à la féminité de façon constante et chronique au travers de sa filmographie. Là où les hommes s’entretuent et guerroient, les femmes font des actions autant oubliées par l’Histoire qu’elles sont élégantes et braves, nous dit le réalisateur. Le sujet, émouvant, revient sur un triste passage de l'histoire sino-japonaise. Une façon de voir aussi les prémices de la seconde guerre mondiale sous une perspective que l'on oublie de nous conter à l'école et qui mériterait néanmoins qu'on s'y attarde. Le film est agréable à suivre et devrait vous tenir dans votre fauteuil sans problème jusqu’au bout. Toutefois les critiques sur le film sont récurrentes, vives et compréhensibles quant à la façon dont le sujet est ici traité. Rapidement, le mot est lâché par beaucoup :
Propagande.
Car en effet, le film ne manque pas de montrer l'héroïsme des soldats chinois, qui remplissent leur contingent de morts avant de tomber au front de la plus brave des manières. Tandis que les vils soldats nippons n’accomplissent que viols et meurtres sans foi ni loi. On pourra ajouter que le film, produit par une compagnie chinoise, constitue le plus gros budget jamais réuni sur le territoire (93 millions de dollars). Et que les autorités de censure ont clairement posé des difficultés lors du tournage, jusqu'à ce que le métrage aboutisse et sorte au lendemain du 74ème anniversaire du drame de Nanjing.
Aussi, d’une première lecture, le film est bon, mais laisse un goût un peu amer de par son parti pris virulent. Même si l’on pourrait rétorquer que nous dégustons sans même y prendre garde des tonnes de films américains effectuant le même type de propagande sans qu’on y réagisse avec autant de vigueur, ce n’est pas une excuse : le film contient effectivement des éléments d’endoctrinement que l'on peut trouver déplaisants.
Malgré tout, l’on peut aussi avoir une seconde lecture à l’égard de l’œuvre :
En effet, il est très probable que l’aspect propagandiste soit dû pour beaucoup au fait que le film est sorti pour l'anniversaire du drame de Nanjing et que le gouvernement chinois, via les autorités de censure, a énormément pesé lors de la production (on trouve plusieurs commentaires du réalisateur expliquant des "difficultés récurrentes" avec un tournage long de 6 mois, fait de négociations délicates avec la censure). De plus, il n’est pas absurde d’envisager que Zhang Yimou ne partage pas le côté propagandiste du film et plusieurs éléments sous-jacents au fil de l’œuvre vont dans ce sens (attention : spoils dans le prochain paragraphe !) :
Tout d'abord, il y a plusieurs remarques des protagonistes affirmant que les japonais ne sont pas tous mauvais, mais répondent d'ordres et sont pris dans la violence de la guerre. Le personnage secondaire de l'officier japonais est aussi montré comme coincé par sa position. Lors d’interviews, Zhang Yimou a déclaré, afin d’amener "quelque chose de spécial à ce personnage", vouloir faire jouer à l'officier nippon un air de musique nostalgique concernant son territoire natal, car à l'époque c'était une chose interdite. La chose peut paraitre bénigne, mais elle ne l’est pas : en période de conquête, appeler à rentrer chez soi est un symbole très fort. C’est un acte tout à fait approprié pour un soldat japonais, à la fois dans le non-dit, la suggestion et la droiture absolue de son personnage. De plus, à la fin du film un cadeau (provenant du même officier) est envoyé au héros. Il s'agit d'un maneki-neko blanc (un chat porte-bonheur), avec la patte droite levée. C’est un symbole d’invitation, d’appel à la bonne fortune et la chance. La couleur blanche est un symbole de pureté. Mais plus encore : La légende qui est à l’origine du maneki-neko raconte qu’un samouraï a rencontré un chat blanc et que celui-ci, parce que le samouraï l’a suivi, lui a permis d'éviter un piège. Il est possible d’ainsi interpréter le cadeau offert par l’officier japonais : il s'agirait d'un message adressé au héros, signifiant qu’il doit suivre le chat pour que sa fortune soit bonne, car sinon un piège l’attend.
Enfin, histoire de purement spéculer : si l’on creuse davantage le sujet, il s’avère qu’à la fin du 19ème siècle, le maneki-neko était souvent utilisé par les maisons de passe (pour qu’on distingue qu’à cet endroit siège un lieu de plaisir) et fut interdit par le gouvernement japonais. On pourrait alors se demander si l’officier n’est pas au courant pour les prostituées et ferait ainsi passer un double message, disant qu’il sait qu’il y a des prostituées en ce lieu. Ce qui en ferait un personnage tout autre. Mais pousser jusqu’ici n’est que spéculation. Chacun en sera juge. Toutefois, on remarquera que le maneki-neko est ensuite remis à l’une des prostituées, ce qui la décide à accepter son tragique destin. Il s’agit d’ailleurs de la même fille qui avait suivi son petit chaton blanc un peu plus tôt dans le film… ce qui l’avait menée dans un piège, à l’inverse du samouraï dans la légende du maneki-neko. Hasard, vous dites ?
Enfin, d’un point de vue purement technique - et c’est une réalité propre à tout film à budget important : l’œuvre est là pour plaire au plus grand nombre. Donc ici au public chinois. Et il est difficile pour nous d’imaginer les pressions très probablement exercées par le gouvernement chinois sur cet ouvrage spécifiquement, ainsi que le réalisateur le sous-entend (vous figurez-vous en train de devoir négocier avec les autorités pour finir votre film selon des termes qui leur conviennent ?). Il suffit de voir les pressions faites sur certains acteurs chinois aujourd’hui encore, après qu’ils aient pris position en faveur des étudiants hongkongais qui militent pour la démocratie… Et ainsi se demander quelle part Zhang Yimou en partage réellement.
Quand on connait également la haine séculaire qui tient le Japon et la Chine (à l’époque du film il était même question de conflit militaire entre eux), il n’est alors pas surprenant que le métrage contienne tant de patriotisme exacerbé, au moment de célébrer l’un des plus tragiques moments de l’histoire sino-japonaise. L’on parle d’entre 20.000 et 80.000 femmes et enfants violés, et de centaines de milliers de civils tués en l’espace de 6 semaines à peine. Difficile donc de contester la réalité de la chose et le film en ce sens ne fait injure à personne, sinon au gouvernement japonais qui nie une partie de ces évènements et clame qu’il ne s’agit là que de propagande. Difficile à croire, quand on connait la réalité de la guerre, qu’il n’y eut ni viol ni meurtres… Les chiffres sont peut-être discutés (le Japon parle d’entre 40.000 et 200.000 morts, contre 300.000 selon les rapports chinois et 200.000 selon le tribunal militaire international), mais la notion de massacre ne s’en voit toutefois nullement diminuée. Aussi le film peut certes avoir une approche trop souvent prosélyte, mais elle n’en reste pas moins avérée. Et je dis ceci tout en ayant la plus grande de sympathie pour le Japon, pays dont j’admire profondément la culture et l’Histoire. Mais la cruauté ne réside pas dans le nombre. Aussi, en ce qui concerne ma position, le film fait comme Alice aux pays des merveilles, et vous enjoint à suivre le… chaton blanc, clef pour une seconde lecture à l’œuvre. Afin d’y trouver autre chose :
Un film qui fait une ode à la beauté des femmes dans leur courage et leur pacifisme, dans leur volonté de transcender leurs différences sociales et culturelles afin de parvenir à un consensus. Ce que les hommes, chinois comme japonais, ne parviennent pas à accomplir, eux. Un message constant dans la filmographie du réalisateur. A chaque fois les hommes y font souffrir les femmes, mais ne changent pas. Sans doute parce que plus les choses changent... plus elles restent les mêmes.
Paul-Atreides
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le 5 nov. 2014

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Paul Atreides

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