S’il y avait bien un invité inattendu sur la croisette cette année, c’ce serait bien cet artiste parti bien trop tôt. Satoshi Kon est l’un des piliers de l’animation japonaise et continue encore d’influencer d’autre cinéastes, d’autres auteurs, dont l’héritage constitue parfois un hommage direct. Malgré l’ouragan à succès Ghibli, le cinéaste et mangaka n’a jamais manqué de créativité, qu’il met au profit d’un perpétuel renouvellement de ses thématiques, bien qu’elles gravitent autour d’une dualité symbolique. Près de dix ans après son décès, le documentaire de Pascal-Alex Vincent ne révélera rien de plus que ce que l’on aura découvert dans sa poignée d’œuvres majeures. Il cherche à retracer le parcours atypique et surtout miraculeux, d’un homme qui ne comptait pas forcément pour ses paires, avant de les convaincre par la plus magnifique des illusions, à savoir son âme couchée à l’écran.


C’est chronologiquement que l’on se surprend encore à visiter les coulisses de son premier film « Perfect Blue », sorte d’ange déchu et déjà au sommet de son art. Sciemment inspiré d’Hitchcock et autres polars littéraires, il insuffle à son récit une aura particulière, sans oublier de l’ancrer dans cette société japonaise, obnubilée par ses idoles et sa violence passive vis-à-vis de ces dernières. C’est dans cette même démarche qu’il trouve ses motifs, dont il parvient à exploiter le vertige graphique. « Millenium Actress » lui a offert l’opportunité de pousser sa narration à un autre niveau, encore moins linéaire que le précédent et tente également de jouer sur une profondeur de champ, qu’il a éclipsé par des jeux de miroir auparavant. Et c’est avec ce genre d’observation que l’on discernera mieux la personnalité de l’artiste, tantôt exécrable, tantôt bienveillant. Kon a été tourmenté par un pouvoir qui le dépasse et n’hésite pas à en imprégner ses récits, au bord de la rupture entre deux visions, deux réalités qui s’opposent.


Mais en réalité, malgré la fluidité de certaines transitions ou d’arguments qui se superposent correctement avec l’intervention d’autres animateurs, le documentaire préfère nous livrer frontalement tout ce qui a fait l’essence de Kon. Entre pédagogie peu inspirée et un encensement unidimensionnel, nous n’avons droit qu’à quelques bribes de pure analyse, tandis que d’autres passages nous renvoient à une fanzone anecdotique. Mamoru Oshii (Ghost In The Shell), Mamoru Hosoda (La Traversée du temps, Les Enfants Loups, Ame & Yuki, Le Garçon et la Bête), Jérémy Clapin (J’ai perdu mon corps), Darren Aronofsky (Requiem for a Dream), Rodney Rothman (Spider-Man : Into The Spider-Verse) et Katsuhiro Ōtomo (Akira) seront présents, mais qui ne vibreront pas à l’unisson. Ce qui aurait pu tenir d’une nuance sur la matière du mangaka se révèle alors fastidieux à suivre et c’est bien dommage, alors que d’autres sujets auraient mérité plus d’attention et d’approfondissement.


En soulignant que les femmes ont une importance de premier ordre dans cet étouffement sociétal, nous en arrivons également à regarder ses œuvres à travers une vulnérabilité moins évidente, par le biais de la détresse d’un auteur qui se sent enfermé. Et peut-être qu’en laissant un peu plus d’espace à l’espoir et au miracle, comme avec « Tokyo Godfather », il a su se reprendre en main avec une puissance visuelle folle, qui a dominé « Paprika où l’on sentait déjà les prémices dans sa série « Paranoia Agent ». L’envie de séduire un nouveau public et de jouer sur la nostalgie pour les adeptes clarifie un peu trop les pistes de réflexion, faisant du documentaire un mémoire complaisant, loin d’être désagréable, mais qui aura manqué de ramener assez longtemps l’âme de « Satoshi Kon, l’illusionniste », le temps d’une rêverie et d’un hommage, qui ne doit pas uniquement cristalliser son temps, mais qui devrait s’affirmer comme un messager, venu annoncer l’avènement d’une continuité entre de bonnes mains et de bons esprits.

Cinememories
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le 23 déc. 2021

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