Slovenian Girl est une call girl au sourcil surélevé. C'est la marque la plus notable et la plus expansive des cyniques contemporains - ces stoïciens résignés ou fatalistes. Ceux qui ont un trop-plein en eux et qui décompensent par une stratégie de masque et d'armure.

Si comme dans Girlfriend Experience, Aleksandra/Sasha/Tina alias Slovevian Girl a la volonté du mensonge, de la manipulation, des opportunismes, de l'indépendance, de la conscience de ses actes, l'on ressent moins cette idée d'incubation voulue chez Soderbergh.

Slovenian Girl est un film qui multiplie les enjeux : Sasha est autant retranchée dans ses activités sexuelles qu'elle en a la volonté. Le film se concentre moins sur la personnalité/ le tableau de la jeune femme que sur la création d'une situation inextricable.

Toute son activité rythme son existence : comme dans Girlfriend Experience, on retrouve l'amie fidèle, la confidente tragique et aveugle, les autres relations sociales sont déstructurées, avec en permanence cette impression de quitter des griffes pour en retrouver d'autres. A l'origine, Sasha (je préfère l'appeler comme cela) veut s'affranchir des maîtres et de la misère. C'est pourquoi en combinant des études (comme dans l'inconsciente et sacrée Sleeping Beauty, comme dans le misérable et naïf Mes Chères Etudes) à des activités sexuelles, en achetant à crédit un appartement, elle croit trouver un eldorado sécure, pour ne pas dire un équilibre heureux. Cet appartement apparaît dans un premier temps comme un emprunt sur l'espoir et l'affranchissement ultime de la condition de l'esclave. C'est comme ça que Sasha dépense sa moindre énergie, elle qui est pâle et qui a un rôle épuré, pour ne pas dire économe. Elle la dépense dans des relations intéressées, qui lui rapporteront de l'argent. Il s'agit de garder de l'énergie pour ouvrir les cuisses pour rembourser un emprunt ou encore pour oublier, un oubli que je pense être une activité à plein régime.

Mais c'est sans évoquer la convoitise dont cet appartement est l'enjeu. Il suscite la curiosité de l'entourage, la jalousie, la suspicion ; il attire aussi le chantage des mafieux, à qui l'on obéit sous la torture mais à qui on ne peut échapper sous peine de renoncer à cette vie faite d'espoir de condition sociale et de nature. Sasha est poussée par la peur de l'aliénation, de la misère mais peur aussi de la police qui la fait cavaler de mains en mains, sans jamais trouver la charité. L'énergie de Sasha se disperse alors, il est mangé et nous la découvrons moins active (moins d'argent donc) et persécutée.

Cet appartement - la propriété privée en général, "accessible" et "démocratisée" - est un véritable guet-apens pour celui qui dépend de sa rente ou de son toit ! Mais il y a une chose qu'on sous-entend tout au long de ce film : Sasha a choisi pour pseudo de se nommer "Slovénie". Ce n'est pas anodin. A maintes reprises, Slovenian Girl est l'allégorie de la Slovénie, pays pris sous le joug de la dictature de la croissance et des marchés mais aussi sous la tenaille du capitalisme intérieur aux frontières. L'on en déduit que la Slovénie est perçue comme la pute de l'Union Européenne, la pute qui ne mouille jamais assez pour la BCE et le FMI.

Ainsi la question du film n'est pas tellement "qui est cette Sasha ?" mais plutôt "Qui est la pute ?" au final, amenant par la même occasion une réflexion sur la question des frontières et du capitalisme. Le film ne trouve d'ailleurs pas d'issue partant de cette réflexion.

Extrait de la Grande Prostituée de Babylone, issu de l'Apocalypse de Jean qui selon les spécialistes évoquent l'empire romain (analogie ancienne de l'UE) comme étant la preuve du règne de Satan :

"Et je vis une femme assise sur une bête écarlate, couverte de noms blasphématoires, et qui avait sept têtes et dix cornes. La femme, vêtue de pourpre et d'écarlate, étincelait d'or, de pierres précieuses et de perles. Elle tenait dans sa main une coupe d'or pleine d'abominations : les souillures de sa prostitution. Sur son front un nom était écrit, mystérieux : « Babylone la grande, mère des prostituées et des abominations de la terre. » Et je vis la femme ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus. (...) Les dix cornes que tu as vues et la bête haïront la prostituée, elles la rendront solitaire et nue. Elles mangeront ses chairs et la brûleront au feu."

Et alors Slovenian Girl prend une autre dimension. Une dimension qui promeut un intérêt certain à être vu, prétextant que derrière chaque porte (d'appartement) sont dissimulés des enjeux qui persécutent ceux qui n'ont que leurs mains (ou leur sexe) pour travailler.

Girlfriend Experience avait cette réflexion sur la liquidité, sur l'être liquide. Le film slovéno-alémano-serbo-croato-bosnien Slovenian Girl nous apparaît plutôt comme fantôme et interchangeable, une impasse lucide en somme. Regrettons tout de même qu'il perde son élan et son intégrité initiale passé la première heure.

Critique vers Girlfriend Experience :
http://www.senscritique.com/film/Girlfriend_Experience/critique/17270691

Merci de suivre cette épopée comparative de la prostitution au cinéma, en passant par la Bible.

Youhou.
Andy-Capet
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le 3 mars 2013

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