« Te souviens-tu, des nuits sous les étoiles ? C’est mon précieux souvenir... Nos cœurs brûlent, comme le feu sur la plage. Tu ne restes qu’un beau souvenir... »


A l’origine du titre du film dont je m’apprête à commettre présentement la tout aussi présente critique, la lecture des paroles de cette chanson a agi comme un révélateur en moi-même. Grâce à elle, j’ai pu faire un bilan de ces années, durant lesquelles j’ai appris à mieux me connaître moi-même (coucou Xavier #TeamDolan) et surtout à mieux apprécier certaines choses de la vie injustement décriées, et plus particulièrement en France, jusqu’à ce qu’un soir de mai 2016, un jeune chanteur/charmeur fit l’amour à la caméra comme personne, sur la scène de l’Ericsson Globe de Stockholm, aux sons d’un mélodieux « You-hou-hou-houuuuuuu... », qui résonna dans les oreilles des français, pour leur plus grand bonheur (sans doute pas le vôtre), tout l’été et l’année durant, donnant alors une visibilité rarement vue ces dernières décennies à un évènement européen, pour ne pas dire mondial puisqu’offrant une place de participant à l’Australie depuis 2015, pays dans lequel les aficionados se comptent par centaines de milliers.


Oui, je parle de ce grand moment de musique et de télévision, de ces trois soirées annuelles (depuis 2008, car pendant des dizaines d’années, il n’y en avait hélas qu’une seule) que vous, insensibles à la modernité (puisque moderne, ce tout est devenu), européens convaincus de surcroît, dénigrez avec injustice et mépris profond. Rassurez-vous, vous allez bientôt tendre à devenir minoritaires, ou plutôt convaincus je l’espère, car méfiez-vous de Rem_coconuts et de sa mission propagandiste. Elle est enfin venue l’heure de la révélation, de MA grande révélation à moi-même et au monde entier. Jusqu’alors, j’étais de ceux, effrayés, qui agissaient dans l’ombre, pétrifiés à l’idée de devoir subir les moqueries des élites et la vindicte populaire. Acabado. Il est venu le temps d’assumer ce vice caché que je porte en moi depuis ce soir de 2004 où s’amoncelaient les points sur la scène d’Istanbul, venant de toute l’Europe, sous mes yeux émerveillés ; ce vice caché qui prend chaque année des allures d’affaire d’Etat pour la Suède, elle qui organise son Melodifestivalen, 80% de part d’audience, des battles entre les plus grandes stars nationales, quatre demi-finales et une andra chansen (ne m’emmerdez pas pour la traduction), ou l’éventail du paysage musical suédois en six semaines, du véritable tube up-tempo (garantie d’une victoire) au traditionnel schläger, du trip mystique à la chanson gag, tout ça pour garantir une fois encore à la Sverige Television 80% de part d’audience (encore !) un samedi soir du mois de mai. Finie l’hypocrisie, je vais maintenant tout vous dire, chers lecteurs, sur ce phénomène qui fait battre mon cœur de guimauve, illumine mon regard (en même temps, avec les sublimes scénographies qu’on nous propose depuis l’avènement de la LED), enchante mes oreilles, ce phénomène qui a contaminé l’Europe de l’Est à son tour, ses pays qui s’échangent sciemment et sous nos yeux les précieux 12 points (et les autres aussi d’ailleurs), se liguant contre nous, Ouest-européens réduits aux miettes. Bon okay, les scandinaves font la même chose, mais bon j’apprécie beaucoup le Wasa et les chevaux de Dalécarlie. Et Stockholm, quelle ville !!! Qui se convertit à cette illumination de l’esprit voit son destin changer et sa vision de la vie bouleversée à tout jamais (heureusement pour Shania Wolf qu’elle s’est barrée au Vietnam, sinon elle aurait cédé à son tour). Qu’elle est longue l’attente du mois de mai, au gré des finales nationales se succédant au cours de la période hivernale, du branché Melodi Grand Prix au trépassé Festivali i Kenges.


Vous n’avez toujours pas compris ? Et bien je vais insister. Quel évènement international, d’essence européenne toutefois, réunit chaque année davantage de téléspectateurs que les Jeux Olympiques, affolant l’audimat de la Scandinavie (okay, on a compris), de la Grèce, des Balkans et de l’Azerbaïdjan ? Quelle émission télé musicale parvient à réunir une quarantaine de pays européens chaque année, du moins ceux qui ont les moyens de participer (ça dépend des années cela), de l’Islande à la Géorgie, du Portugal à la Lettonie, en passant par l’Allemagne et ... Saint-Marin,, des plus démocratiques aux dernières dictatures d’Europe, de l’ex empire romain aux anciennes frontières de l’Empire Byzantin ? Quel concours parvient-il à faire quasi s’entre-tuer des dizaines de stars nationales pour représenter leur pays, ou faire les beaux jours de Monaco et du Luxembourg (mais ça c’était avant) ? L’heure du coming-out eurovisionesque a sonné : oui je suis un adepte du concours Eurovision de la chanson (mais abonné à Télérama et aux fauteuils du Nouvel Odéon).


« Never forget what I did, what I said, When I gave you all my heart and soul
Morning will come and I know well be one, Cause I still believe that youll remember me »


De l’Eurovision, il en est question dans « Souvenir », où l’on fait connaissance avec Liliane, la petite soixantaine, ouvrière dans une usine de pâté, dont le morne et triste quotidien est rythmé par le boulot et la tasse de whisky devant un jeu télévisé digne des heures les plus ancestrales de France 3 (quoique quand tu mates le dimanche en access, ça fait peur), mais surtout de RTL9, puisque le film semble se dérouler au Luxembourg, cinq victoires au concours de l’Eurovision, vu les décors et la grisaille ambiante. « Bleu, l’amour est bleu » chantait d’ailleurs pour ce pays la grecque Vicky Léandros en 1967. Pour le moment, il n’est nul question des vertiges de l’amour, mais s’agissant du décor, il est plus gris que bleu. Anonyme, Liliane est. Sans amis, sans famille, ni chien, ni chat. Un appart telle une relique d’un autre temps, révolu, celui des années 70, où les notions de la géométrie et des couleurs différaient sensiblement des nôtres, les tables en formica et les salles de bains carrelées de couleur sombre et les miroirs illuminés par des néons étaient légion. Il fallut qu’un après-midi, le fameux jeu télévisé diffuse un extrait du passage de Laura au concours européen de la chanson, en 1974, année de la victoire d’Abba devant la jeune fille, pour que soit réactivé le souvenir. Laura, c’est Liliane, le succès en moins, la banqueroute en plus, le mari parti dans les bras d’une jeune fille en fleur. Et l’abandon, la solitude. Finie l’idylle avec le public. Terminées les soirées avec les plus grandes stars du show-biz. A ceux pris dans la spirale de la chute, on tourne le dos, histoire de ne pas y être pris à son tour. Jusqu’au jour où une jeune boxeur, intérimaire à l’usine, jeune admirateur de l’ex-star de la chanson, la reconnaisse et la convainque de relancer sa carrière avec son soutien comme manager. Un petit tour à la fête du club de boxe, et voilà l’étoile de nouveau étincelante, malgré des sonorités et une gestuelle restées ancrées quarante années en arrière. Prête pour un petit retour dans la sélection nationale pour l’Eurovision ?


« Tu verras, tu te reconnaîtras, à chaque instant, dans chaque joie, dans chaque larme »


Les origines du concours Eurovision de la chanson (puisque c’est sa dénomination officielle) remontent aux années 1950. Le contexte géopolitique inhérent à cette période incite les dirigeants politiques de l’époque à créer des liens forts entre les pays européens. Non, je ne vais pas parler de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, lointaine esquisse de la future Communauté Économique Européenne, ou actuelle Union Européenne, mais plutôt de l’Union Européenne... de Radio-télévision, qui rassemble dès 1950 les radios et télédiffuseras publics des principaux pays Ouest-européens. L’objectif ? Mettre leurs ressources en communs pour améliorer la qualité des programmes et réalise des économies. Quelques années plus tard, en 1955 précisément, les diffuseurs décider de créer un évènement destiné à populariser l’organisme, promouvoir les relations entre les membres et employer les nouvelles ressources offertes par le réseau Eurovision. C’est alors qu’un ingénieux suisse, directeur général de sa télé publique nationale, Marcel Bezençon, proposa de créer un festival de musique sur le modèle de celui, célèbre, de San Remo, qui offre toujours aujourd'hui un panorama complet du paysage musical italien, et quand je dis complet, cela va de l’actuel... au moins actuel. Automne 1955, le principe est acté : le festival en question sera un concours, organisé sur une soirée, télévisée en simultané dans l’ensemble des pays participants, en direct. Chaque pays présentera une chanson originale, jouée (ça, c’est fini depuis l’introduction des PBO et la suppression de l’orchestre dans les années 1990) et interprétée en direct (ça, c’est toujours le cas, quoique la présence de cinq choristes aide parfois énormément certains). A la fin de la prestation de l’ensemble de participants, chaque pays accorde ses points : la chanson en obtenant le plus grand nombre remporte le concours. C’est ainsi que Lys Assia fut la première à soulever le trophée de l’Eurovision pour la Suisse avec sa chanson « Refrain ». Et que, depuis 1956, l’organisation et la diffusion de ce concours, dont le succès populaire se vérifie indéniablement à travers l’Europe et le monde, sont ininterrompues. Depuis, l’Eurovision a traversé toutes les tendances des époques, des modes vestimentaires aux sonorités musicales du moment, vu se côtoyer sur scène les grandes stars de l’époque, ouvert ses portes à un nombre croissant de pays à partir de la chute de l’URSS et l’éclatement de la Yougoslavie, et même remplacer le kitsch qui composa longtemps une partie de son identité au profit d’une modernisation sans précédent à partir de la fin des années 2000... Preuve de l’éternelle volonté d’être en phase avec son époque.


Dans « Souvenir », dont l’action semble théoriquement se dérouler de nos jours, les fantômes du passé continuent pourtant de surgir, que ce soit dans l’esthétique rétro du film, son affiche kitschissime signée Pierre et Gilles, l’appartement de Liliane, les émissions diffusées à la télé, mais surtout la gestuelle de Laura chantant son tube de l’époque et les tendances musicales présentées à la sélection nationale. Tout fait figure de réminiscence d’une époque révolue, fantasmée, de souvenir vivant et empreint de nostalgie dans les esprits de chacun. Comme si ce pays sans nom était l’Albanie d’aujourd’hui, où la sélection nationale pour l’Eurovision marque, à chaque Noël, un retour vers le passé, poussiéreux, comme si les sons et les décors semblaient revenir d’Outre-tombe, comme dans un film d’horreur, les choristes préférant la lourdeur des casques d’enregistrement (véridique !) à la discrétion des oreillettes ! A croire que la télévision publique albanaise n’ait pas les moyens décents d’offrir un panorama de la réalité de la scène musicale de son pays et – surtout – d’offrir autre chose que cette horreur, pour les yeux et pour les oreilles, redonnant vie aux heures les plus sombres du concours de l’Eurovision, celles où la télé n’était même pas en couleur ou ce temps où Barbara Dex performa vêtue d’une robe confectionnée par ses soins... telle d’hideux rideaux. Pourquoi vous croyez qu’elle a donné son nom au prix récompensant les pires costumes du concours ? On est en 2016 (ou presque), et pourtant, ce n’est ni David Guetta (peut-on qualifier cela de musique ?) ni Amir ni Louane, qui visent le Graal, mais... Laura, et son « joli garçon, je dis oui, bras de béton, je dis oui », qui semble pourtant susciter l’enthousiasme et même soulever les foules, à voir l’excitation des jeunes boxeurs réunis dans le PMU du coin devant la sélection nationale et hurler le refrain ! Comme quoi, « Souvenir » a bien choisi son titre...


« You-hou-hou-hou
You’re the one that's making me strong
I’ll be looking looking for
You-hou-hou-hou,
Like a melody of my song »


Ah l’amour... Prends garde à toi, si ses flammes t’embrasent et t’entraînent dans son sillon... L’amour, ou l’éternelle torture de l’esprit humain... L’amour, ou le marronnier de l’Eurovision. « Peace Peace Love Love » comme le chantaient ironiquement Petra Mede et Mans Zelmerlöw, co-présentateurs de l’Eurovision 2016 lors de l’interval act. Les Fatals Picards ne chantaient-ils ainsi pas en 2007 à Helsinki « Et je cours, je cours, I’ve lost l’amour, je suis perdu, here without you, and I’m crazy seul à Paris, je tue le manque... » ? Sophie et Nodi ne faisaient-ils nous faisaient-ils pas fondre avec leur Waterfall digne d’une chanson phare d’un dessin animé Disney ? «Feels like I’m flying like if I had wings... Like I am sailing on a sea of dreams... Your love is pouring down on me like a... WAAAAATEEEEERFAAAAAAAAALLL ». Les frères Olsen n'ont ils pas obtenu l'onction des téléspectateurs européens en 2000 à Stockholm (tiens) au Globe Aréna (tiens) avec leur « Fly on the wings of love Fly baby fly Reaching the stars above Touching the sky » ? « I do, I do, I do I do, I do, I love you like a fool (Love you like a fool) » répondrait Fabrizio Faniello malgré son seul et unique point obtenu pour Malte en 2006 à Athènes (et quand tu vois la prestation, tu ne comprends absolument pas pourquoi). On passe chez les voisins pour un retour vers le futur, en 1983, avec Stavros, Konstatina et leurs guitares pour Chypre : « Η αγάπη ακόμα ζει, η αγάπη ακόμα ζει. Η αγάπη ακόμα ζει, η αγάπη ακόμα ζει. Η αγάπη ακόμα ζει, κι ας μην είδε άσπρη μέρα, Η αγάπη ακόμα ζει, τη νοιώθω απόψε στον αγέρα » ou « Love is still alive, Love is still alive, Love is still alive, albeit without a sunny day, Love is still alive, In feel in the air tonight ». Pour la version francophone, on a la suissesse Francine Jordi (qui depuis s’est renconvertie dans le schlager allemand), en direct de Tallinn, Estonie, à l’Eurovision 2002, « Dans le jardin de mon âme, ton coeur est tout en fleurs. Dans le jardin de mon âme, tu trouveras ta demeure. La plus belle de ses roses m'a enchantée mille fois. Dans le jardin de mon âme, il n'y a que toi pour moi. »


Vous en voulez encore ?


Ainsi chanté, l'amour de l’Eurovision est toujours là, présent, bel et bien vivant et vibrant dans le cœur des artistes et du public, malgré ses turpitudes. Combien de télédiffuseurs nationaux se sont-ils littéralement ruinés afin de prendre part au concours, de voir leur pays exister trois minutes dans l’année quitte à renoncer à la diffusion de l’Euro de foot ou des Jeux Olympiques ou, pire, d’annuler The Voice ? Combien, déjà frappés par la crise économique, se sont ils quasiment mis au bord de la faillite, de la Bosnie-Herzégovine à la Lettonie, du Portugal à la Macédoine, juste pour faire entendre leur douce mélodie le temps d’une demi-finale, parfois (mais de moins en moins souvent) au mépris de la santé otologique des téléspectateurs ? Toutefois, pour d'autres, l’amour. Et heureusement. Pour nous. Et pour l’Eurovision. N’en déplaise à Monaco et sa coco-dance, ou encore au Casanova d’Andorre. Ce qui ne nous épargne pas pour autant les illusions bulgares (heureusement, Poli Genova est depuis passée par là), les hommes de lutte portugais, les légumes estoniens, les loups de la mer... lettons, Dustin la dinde irlandaise, ou encore... le boom-boom arménien. J’oubliais les célèbres monstres finlandais. Et la Moldavie. Entière. Mais tant que l’amour est là, l’espoir fait vivre.


D’amour ce film parle à l’instar de l’Eurovision. L’amour des possibles, celui qui fait traverser les frontières, brise les murs, construit des ponts (et des points) avec ses voisins, quitte à faire du mal inconscient à l’être aimé et à ses aficionados, comme Dustin the Turkey. S’agissant de notre concours favori (à la lecture de ces lignes, si vous avez eu le courage d’arriver vivants jusqu’ici, quitte à avoir fait appel à quelque substance, je ne doute pas vous avoir converti aux joies de l’Eurovision Song Contest), cet amour s’exprime aussi de manière plus pure, véritable, respectueuse des envies et des désirs de chacun, apportant de la joie, de l’émotion, de la chaleur, un soupçon de romantisme et de rose rouge, un amour qui résonne en nous comme un « rendez-vous magique » et impromptu en Lettonie, un « conte de fées moderne » en Estonie, à la « confluence des sons » serbe, celle qui nous fait « ressentir le rythme » grec, qu’on est enjoint à « rejoindre » via la B&W Hallerne de Copenhague. Ainsi le disent nos amis suédois, ces irréductibles, ceux qui ont largement contribué à faire de l’Eurovision ce qu’elle est aujourd’hui, « nous sommes un », et il faut « venir ensemble », tel le célèbre adage des Beatles. Loreen, Mans, Conchita Wurst, Amir, The Common Linnets, Poli, Jamala, Ruslana, Helena, Alexander Rybak, Abba, Lena, l’Europe vous dit merci. Même si elle ne vous le rend pas forcément bien. Mais il parle également de l’impossible de l’Amour, du moins de sa théorie, lorsque les murs semblent tellement hauts qu’ils en deviennent infranchissables, quoique dans la vie, rien n’est impossible. Non, Jean ne se contentera pas d’une position de manager : il se fera l’amoureux, l’amant, le protecteur de Liliane, celui qui redonne la confiance nécessaire, la force, le courage pour revenir sur le devant de la scène, par la petite porte d’abord, dans les maisons de retraite, sur les bords d’une course cycliste au moment où le public se rue contre les barrières pour soutenir les coureurs. Un exutoire de l’envie, pourtant niée, contestée, démentie par la principale concernée, de Liliane de redevenir Laura, quoique la peur du retour se fasse légitimement sentir après tant d’années d’absence, alors que les temps ont changé et les tendances musicales également... sauf dans le film de Bavo Defurne. Un amour, aussi sincère soit-il, qui se heurte aux préjugés, de la mère de la Jean essentiellement, circonspecte quant à l’engagement professionnel et personnel de son fils auprès de l’ancienne égérie, et à la différence d’âge, quoique cette dernière ne semble constituer un obstacle qu’aux yeux de Liliane, dont le capital confiance érodé laisse entrevoir dans le miroir l’ombre poussiéreuse d’une vedette dépassée, alors même qu’elle est en train de vivre une seconde jeunesse, belle et éternelle, avec l’élégance qui est celle d’Isabelle Huppert tandis, qu’a contrario, Jean, sa moustache et son costume semblent tout droit sortis des années 50-60, de ces années où Line Renaud occupait le devant de la scène, soutenue par son imprésario de mari. Impresario, nul terme ne peut être plus adéquat pour restituer l’envoûtante atmosphère surannée et désuète de ce « Souvenir » qu’elle voudrait oublier, mais qui revient en force, plus vivant que jamais. L’heure du retour de Laura a sonné, à ses risques et périls. Et si « [elle n’était] pas encore tout à fait morte » ?


« ויוה נריע,
ויוה ויקטוריה,
אפרודיטה
ויוה לדיווה,
ויוה ויקטוריה,
קליאופטרה »


"Viva nari'a,
Viva Viktoria,
Afrodita,
Viva la diva,
Viva Viktoria,
Kleopatra »


On est dans les années 2000, un téléphone portable venant subrepticement nous le rappelant, et pourtant, on est plongé dès les premières images dans un espace inconnu, où le temps semble s’être arrêté et figé, à l’instar de l’esprit de Liliane en somme, resté plongé dans la gloire passée, la Fortune qui lui a joué des tours et l’inexorable chute. Il suffit que retentissent quelques notes de « Souvenir » pour que celui-ci soit réactivé, nostalgiquement, douloureusement, mélancoliquement, et que le fragile équilibre soit mis à mal. Quand il y a de la vie, il y a de l’espoir, dit-on, et il suffit que le hasard mette sur sa route un jeune admirateur pour que le dit espoir se fasse de nouveau sentir, celui d’un retour. Après tant d’années d’absence, le jeu en vaut-il la chandelle ? Vous imaginez un retour d’Anne-Marie David, Vicky Léandros, Corinne Hermès, Marie Myriam ou Johnny Logan, Mister Eurovision, deux victoires pour l’Irlande, ailleurs que sur une tournée dédiée aux lointaines égéries d’un autre temps ? Oh, Lys Assia a pourtant récemment participé aux sélections nationales suisses avec « C’était ma vie », tenté un comeback toujours en Suisse avec un jeune groupe de rap. Qui ne tente rien n’a rien, dit-on encore. De même qu’il ne faut pas enterrer trop vite les icônes du passé, parce qu’un grand retour à succès n’est jamais à exclure, telle une seconde chance que la vie daigne parfois nous offrir. Encore-faut il en jouir pleinement. Les maisons de retraite et les Noël des clubs sportifs, c’est bien gentillet tout ça, mais ça ne suffit pas. Le chemin du comeback passe indéniablement par l’Eurovision. Combien de carrières ce rendez-vous magique a-t-il lancé et relancé ? De combien de stars a-t-il permis de prolonger la flamme et l’illumination ? Ah, ces impétrants, tous genres confondus, qui ont frôlé ls scènes de l’Esprit Arena de Düsseldorf, du Baku Crystal Hall de ... Bakou, du Globe Arena/Ericsson Globe de Stockholm (encore !), du Studio 15 de la Cinecitta à Rome, la Green Glens Arena de Millstreet, la Hartwall Arena à Helsinki ou encore l’International Convention Centre de Jérusalem. De Niam Kavanagh à Elisabeth Andreassen, de Paul Harrington et Charlie Mc Gettingan à Paula et Ovi (en 2010 et 2014), de Bobbysocks à Katrina and The Waves, combien ont représenté leurs pays au concours de l’Eurovision, avec plus ou moins de succès, quand bien même s’y prennent-ils à plusieurs reprises. Si Carola a remporté l’Eurovision dès sa deuxième tentative, en 1991, alors qu’elle était à égalité de points avec la française Amina (dont la seule lacune résidait en une fréquence inférieure de 10 points), tout en réalisant un top 5 quinze ans plus tard, si Anna Vissi a navigué entre la 5ème et la 13ème place en trois participations pour son île chypriote natale et la Grèce (à domicile), sans oublier Lena Meyer Mandrut, victorieuse pour l’Allemagne en 2010 puis 9ème à domicile l’année suivante, pour d’autres, le retour a été synonyme de redescente sur terre après une effusion de points. Ainsi il en fut de Niam Kavanagh, pour qui une victoire à domicile dans le hangar de la paumée citadelle de Milstreet (qui n’est d’ailleurs pas une citadelle, mais de cela on se fout) fut l’occasion d’une … vingt-deuxième place en 2010, de Greta Salome, déjà 20ème pour l’Islande avec Jonsi (déjà dans ces eaux là en 2004) l’année de la victoire de la subliiime Loreen (EUUUUUPHOOOOOORIAAAAA) en 2012, fut injustement éliminée en demi-finale en 2016, de la norvégienne Anne-Karine Strøm, seule artiste à avoir eu le privilège de terminer deux fois à la dernière place en 1974 et en 1976 ou encore de Chiara, deux fois deuxième pour Malte avant de finir dans le bottom five de la finale moscovite de 2009. « What if weeeeeeeee ». Tout comme être une star n’est pas gage de réussite eurovisionesque : ainsi en fut-il de la glorieuse Cascada en 2013, de Bonnie Tyler la même année (on appelle ça un comeback réuss), Anggun en 2012, tous abandonnés lâchement dans les tréfonds du classement. Pour autant, d’autres ont brillé sur la scène du concours, de Julio Iglesias (quatrième en 1970) à Lara Fabian (quatrième en 1988), mais tous éclipsés par la seule, l’unique, Céline Dion, victorieuse en 1988 sous l’étendard helvète avec « Ne partez pas sans moi ». Et Abba en 1974 me direz-vous, et la campagne napoléonienne de « Waterloo » ? Et bien ils ont éclipsé Olivia Newton-John qui représentait le Royaume-Uni (enfin uni jusqu’à récemment…) qui a fini… bon je vais pas me faire chier à chercher hein, et surtout, celle qui finit fictivement seconde cette année-là, notre chère… Laura. « Souveniiiiiiiiiiir » résonne à nouveau dans nos têtes, le décor rétro au possible (qu’on retrouve encore dans les sélections nationales albanaises), sa robe rideau à laquelle il ne manque que les ailes (si, si, comme les bélarusses et leurs « butterflies »), sa voix, sa gestuelle démodée, son style dépassé, mais tellement aérien et vaporeux, telle une bouffée de cigarette qui s’envole en fumée…. Comme l’Amour en somme, répondrait Sylvie Vartan (qui n’a pas fait l’Eurovision, elle). A priori, un comeback voué à l’échec, à l’humiliation dès les séries de la sélection nationale (combien de comebacks ratés dans les sélections scandinaves, de tentatives de retour avortées au Festival de San Remo, et d’éternelles et sempiternelles tentatives vaines de représenter Malte – encore Malte, c’est sympa, il y a le fandango de Jessika – ou l’Albanie – encore elle !), parce qu’au final, la musique, c’est comme le monde ça évolue… quoique parfois l’on est en droit de se demander si ce dernier n’est pas en voie de rétropédalage. Certes, dans « Souvenir », nous sommes probablement au Luxembourg, mais quand même… Et bien détrompez-vous ! « Riiiiiiiise like a phoenix » dirait Conchita Wurst à propos de Laura, qui renaît littéralement de ses cendres, s’offre une seconde jeunesse bienvenue, une bouffée d’oxygène à la Diane Dufresne dans son morne quotidien, un retour sous les feux des projecteurs et sous les étoiles, sous les yeux de milliers de spectateurs (on espère pour elle, parce qu’une audience digne de celle de Saint-Marin ou de l’Andorre, incapables de valider leur télévote faute de quota de votants suffisant, ou l’une de nombreuses subtilités règlementaires de l’Eurovision, sinon ce n’est pas marrant), vieux et jeunes, retraités et boxeurs bien portants… La gloire certes, au risque de voir l’amour en fuite, doucement et lentement, volant vers d’autres airs… A moins que lui aussi ne tente un come-back ? « Souvenir » ou le débarquement de l’immense Isabelle Huppert dans le monde de l’Eurovision, avec la classe et la justesse inhérentes à chacune de ses performances que j’admire, en état de quasi vénération devant un tel art de tout jouer, ou même d’être.


« Ooh skies are black and blue, I'm thinking about you, Here in the calm after the storm »


(acte de conclusion)


« Souvenir » ou celui d’une époque révolue et d’une ère eurovisionesque qui l’est tout autant, pour l’essentiel du moins. Aux Frida Boccara, Jean-Claude Pascal, Sandie Shaw, Gigliota Cinquenti, Nicole, Salomé et Udo Jürgens, ont succédé les Loreen, Mans Zelmerlöw, Amir, Marco Mengoni, Barei, Sergey Lazarev, Poli Genova, Conchita Wurst, Lena, Sanna Nielsen, Emmelie de Forest, Edurne, Ruth Lorenzo, Sakis Rouvas (il peut remercier ses choristes, mais on veut bien le lui pardonner), A Friend in London, Softengine, Krista Siegfrieds, maNga, Iveta Mukuchyan, Sebalter, Loïc Nottet, et j’en passe. Vous ne les connaissez pas ? Mais c’est normal, bande de rétrogrades, à l’image de votre contrée d’évolution! Si certains pays semblent restés bloqués dans les années 70, l’Eurovision, elle, a évolué avec son temps, musicalement et scénographiquement ! Certes, ça pique parfois un peu aux yeux et aux oreilles, mais de plus en plus rarement ! Vous ne les connaissez donc pas vous dites ? Ne vous inquiétez, grâce à Rem_coconuts, ce grave manquement à une vie agréable est réparé ! Et voici l’heure de remercier Bavo Defurne, sans qui cette critique n’aurait probablement jamais existé (puisque le film n’aurait alors pas vu le jour), et ce vaporeux « Souvenir ». Et merci également à Pink Martini pour la bande originale, et les divines paroles des titres de Laura/Isabelle Huppert….


PS : pour conclure, rien de tel qu’une petite escapade euphoriesque…

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le 11 janv. 2017

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