Parfois vous n’avez pas le temps de vous relever de votre caniveau que le destin s’acharne et vous chie littéralement dessus, c’est le cas de ce pauvre Tom qui après avoir perdu son travail, se retrouve réduit à vivre dans la rue. Pour d’autres, la roue tourne elle va tourner. Brandie Boski, une aide-soignante fort apprécié dans l’Ehpad où elle officie se voit gratifier d’une promotion et part fêter la nouvelle comme il se doit. Mais elle n’aura pas le temps de jouir de son nouveau poste qu’elle va percuter de plein fouet ce pauvre hère qui va se retrouver à demi-encastrer dans son pare-brise. Prise de panique, elle va chercher à couvrir son erreur avec l’aide de son petit ami dealer et séquestrer la victime dans son garage en attendant sa mort pour pouvoir l’enterrer et oublier toute cette histoire. Mais ce dernier ne compte pas se laisser abattre et encore moins lui faciliter la tâche. Après une dernière contribution à Lovecraft et Edgar Allan Poe dans ses deux téléfilms destinés à la série des Masters of Horror, Stuart Gordon a définitivement tourné les talons et troqué les tentacules et les terreurs cosmiques pour l’horreur sociale et satirique. Stuck vient ainsi conclure sa trilogie de thriller initié avec King of the Ants ainsi qu’Edmond, là encore par un constat d’échec humain accablant sur l’individualisme des gens, l’occasion de rappeler que cette histoire est d’ailleurs tirée d’un véritable fait divers même si le réalisateur s’en accommode pour brosser une parfaite étude de caractère. Le film introduit ainsi chacune de ces deux personnalités opposés qui seront amenés à se croiser au carrefour de leur destinée commune et qui vont au fur et à mesure des rebondissements révéler leur véritable nature, chacun luttant pour son propre instinct de survie quitte à se transformer en monstre d’homicide.


Compte tenu de son intrigue et de l’étroitesse de son budget, le cinéaste opte pour le choix d’un huit clos qui se limitera le plus souvent à l’habitacle de la voiture et au garage de l’aide-soignante. Heureusement le réalisateur alterne les cadres de vue afin d’optimiser l’espace et de susciter le sentiment de claustration et de souffrance ressentie par la victime. Il s’agira pour Tom de tenter de s’extirper du tableau de bord afin de signaler sa présence aux autorités et pour Brandie d’achever la victime et de planquer son corps en attendant de pouvoir s’en débarrasser. Les voisins mexicains en situation irrégulières vont bien remarquer que quelque chose ne tourne pas rond, mais que voulez-vous, lorsque l’impitoyable auxiliaire de vie dégaine la menace du coup de téléphone au service de l’immigration, ça calme toute envie de dénonciation. Si on s’amusera par le caractère parfois excessif de la situation, on ne pourra pas s’empêcher de se projeter nous aussi dans pareil cas de figure, et on ressentira autant d’empathie pour le pauvre Tom que pour Brandie qui va accumuler les erreurs et mensonges en espérant naïvement pouvoir s’en tirer à bon compte. Stuck est le film le plus virulent de son réalisateur sur le plan sociologique et nous renvoie d’une manière à notre propre égocentrisme (Que ferions-nous à la place de la conductrice en état d’ébriété au moment des faits ?) puisque personne ne se soucie du sort des SDF et sans papiers que l’on voit quotidiennement quémander de l’argent. De plus, le film s’apparente d’une certaine manière à une lutte des classes puisque nous assistons au duel d’un ancien col blanc devenu clochard et d’une col bleue qui tente d’accéder à l’échelon supérieur en écrasant une personne de rang plus faible qu’elle sur l’échelle sociale et dont la vie aurait donc moins de valeur que la sienne puisqu’un vieux clodo ne manquera à personne. Cela ne va faire que refléter l’hypocrisie de l’aide-soignante qui agit donc moins par empathie avec les vieux dans son Ehpad que par arrivisme.


Si le cinéaste esquive quelque peu les saillies gore qui se feront moins présente que par le passé, celle-ci n’en reste pas moins impactante et permettent d’étayer tout le poids de la violence psychologique qui comme Edmond et King of the Ants dérange au moins autant qu’elle fascine. On peut légitimement parler de quintessence de son cinéma (et également de chant du cygne), tant Gordon a recours à l’humour noir et à l’ironie de manière percutante, et ce qui permet de mieux contraster avec l’horreur de la situation dépeinte. Les ressorts humoristiques reposent essentiellement sur le calvaire enduré par la victime (les essuies glaces dans la panse, le crayon planté dans l’œil) ainsi que sur les mauvaises décisions de sa ravisseuse qui va peu à peu s’enfoncer dans sa propre ignominie et voir sa vie personnelle et professionnelle se déliter juste devant ses yeux. L’intérêt du film tient d’ailleurs beaucoup à l’interprétation de Mena Suvari qui abandonne ses minauderies (American Pie, American Beauty) pour faire tomber le masque de la douce infirmière intentionnée et dévoiler ainsi sa vrai personnalité, celle d’une petite peste hystérique, égoïste et surtout très maladroite, pas aidé par son petit ami Rashid un gros queutard aux abonnés absent lorsqu’il s’agit de prendre réellement les choses en main. Comme quoi la roue tourne, elle a pas fini de tourner.

Le-Roy-du-Bis
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le 25 avr. 2024

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