Il faut que j'arrête d'aller voir des films juste parce que ce sont des comédies musicales, et que j'aime ça, les histoires racontées en musique où, quand les mots ne suffisent plus à exprimer l'émotion du personnage, tout s'arrête et tout chante, juste comme ça, pour le plaisir de s'arrêter et de chanter. Il faudrait que j'admette qu'aujourd'hui, les comédies musicales, ça ne se fait plus, et que si on a l'idée d'en faire, quelque part, on le fait contre la mode du moment, qui est de ne pas en faire, on se force à le faire malgré le fait que ça ne se fait plus, on le fait en sachant qu'on va paraître bizarre, incongru, on le fait pour être différent, pour être subversif, bref, il n'est plus possible de le faire JUSTE pour le plaisir de le faire.


Il faut que j'arrête, aussi, d'aller voir des films parce qu'ils parlent de sujets qui me touchent particulièrement. Il est évident que je ne serai jamais contente de la façon dont le sujet sera représenté.


Je cherche un emploi depuis 2002. J'en connais un rayon sur le chômage. J'en entends dire, aussi, des conneries dessus. Je vois bien qu'il y a des gens persuadés que du travail, il y en a, que si tu n'en trouves pas, c'est que tu ne fais pas d'efforts pour, qu'en tout cas, c'est forcément de ta faute si tu ne t'en sors pas. Moi, ça me semblait une bonne idée, qu'un film vienne expliquer que non, du travail, il n'y en a pas, que quand on te prend à l'essai, ça ne veut pas dire que tu as retrouvé un boulot, qu'on peut encore te virer juste avant que la période d'essai se termine, qu'on peut te préférer la collègue crétine et analphabète mais qui sait sociabiliser avec le responsable, elle, que ton patron peut se mettre à te détester sur un coup de tête et te croire, juste parce que tu es malchanceuse, responsable d'un mouvement de grève auquel tu as pourtant refusé de participer, que durant les entretiens d'embauche, les recruteurs seront odieux avec toi pour voir jusqu'où tu tiens sans fondre en larmes, que durant les premiers jours de ton contrat, ta N+1 prendra un malin plaisir à faire comme si les erreurs normales de débutant que tu fais sont la preuve de ton incroyable nullité et qu'elle n'a jamais vu quelqu'un d'aussi empoté que toi. Sur le fait que, si tu es au chômage, c'est pas parce que tu ne cherches pas de boulot, c'est parce que, pour une raison X ou Y, tu n'as pas pu faire d'études ou pas celles qu’il fallait, que tu n'as pas vraiment de profil, pas de compétence spécifique, que, pour paraphraser une des chansons "à force d'être bonne à tout faire, tu as l'air d'être bonne à rien faire". Sur le fait que le RSA, ça ne suffit pas pour survivre, en tout cas pas dans une grande ville (le film ne parle pas de RSA, ni de grande ville, mais il y parle du fait de ne pas pouvoir se payer le luxe de dépenser 20 euros, en tout cas). Sur le fait que même quand tu as un boulot, par les temps qui courent, tu es de moins en moins sûre de le garder, que le code du travail qui te protège, on est en train de te l'enlever petit à petit.


Mais tout ça, pour que ça marche, il aurait fallu que cette histoire arrive à des vrais gens, pas à des caricatures à peine esquissées. Ici, nous avons des super vilains de bande dessinée face à des crétines de comedia del arte qui essayent de nous intéresser à leur histoire au moyen de musiques inintéressantes et de vers creux et oubliables.


Musicalement, c'est correct, mais les mélodies n'ont rien de spécialement captivant, et les textes sont vides. Comme les dialogues, d'ailleurs. Mais les dialogues, c'est un autre problème. On est dans une comédie musicale, alors la première chose que je demande, c'est des chansons qui me plaisent, me parlent, me donnent envie de rire, pleurer et danser, et de les rechanter en sortant de la salle. Ca n'arrivera pas cette fois. Les rimes ne sont pas spécialement jolies, et surtout, les chansons ne parlent pas. Je veux dire, elles ont un sujet, c'est sûr, et elles n'en parlent pas. Des vers vides de sens, qui évoquent sans dire, et n'ont même pas l'excuse d'être joliment dits, d'avoir sacrifié le sens pour la forme.


J'ai l'habitude d'être déçue par les comédies musicales d'aujourd'hui. Comme j'ai dit, aujourd'hui, ce n'est plus à la mode. En faire une maintenant, c'est un peu prétentieux. Et pour qu'une comédie musicale fonctionne, il lui faut une spontanéité, un naturel qui n'est pas forcément compatible avec la volonté de faire original à tout prix. Ou alors, c'est juste qu'on ne sait plus écrire de chansons de comédie musicale. En tout cas en français. Peu importe. J'ai l'habitude, donc. Je vais quand même les voir, bien sûr. Je ne peux pas m'empêcher. Il y a quand même à chaque fois un petit pourcentage de chances que ce soit bien, ou qu'au moins les chansons soient bien. Ce n'est pas le problème. Et puis, le fait que les personnages ne soient pas très bons, que les dialogues soient très artificiels, et qu'on ne croit pas vraiment à la situation alors même qu'elle est réaliste, ce n'est pas le problème non plus.


Bon, c'est quand même un peu le problème. Les auteurs ont parfaitement compris quels étaient les problèmes de la recherche d'emploi de nos jours et nous en font une énumération quasiment exhaustive. Mais ils le font au moyen de chansons faiblardes, de dialogues faiblards et de personnages soit idiots, soit diaboliques comme des méchants de James Bond. Mais bon, les histoires pleines de bonnes idées mais mal écrites, ça aussi, je connais, j'ai l'habitude. Ce n'est pas ça qui me rend furieuse.


Ce qui me rend furieuse, c'est la fin. Il est impossible d'en parler sans la raconter, alors avertissement habituel, attention spoiler, blablabla, si vous ne voulez pas savoir arrêtez de lire, etc...


Sauf que sincèrement, il n'y a pas vraiment d'intérêt à voir ce film, à part peut-être pour discuter de la fin. Donc, je vous encourage plutôt à vous laisser spoiler et à vous épargner le visionnage. Mais bon, c'est vous que ça regarde, et normalement, là, j'ai assez blablaté pour que ceux qui sont encore avec moi soient ceux qui acceptent le spoiler, alors allons-y.


A la fin, l'héroïne et ses collègues, grâce à la magie de la fiction, parviennent à sauver leur usine de la fermeture, et l'héroïne se voit proposer ce qu'elle recherche depuis le début du film : un CDI.


Mais, en même temps, elle apprend que le petit connard avec qui elle est sortie on ne sait trop pourquoi pendant le film, qui drague les autres filles, est violent, a aidé le patron à manœuvrer pour fermer l'usine, s'est fait de l'argent sur le dos des grévistes et a participé au kidnapping d'une collègue qui ne voulait pas participer à la grève, que ce petit connard, donc, a décidé de tout plaquer pour partir aux States. Alors, elle refuse le CDI tant espéré pour suivre cet affreux individu.


Parce que, ça a beau être vrai que le chômage existe, que trouver du travail quand on a ni diplôme ni compétence, c'est quasiment impossible, que si tu renonces à étudier près ton bac parce que tu t'es mise avec un mec, tu te retrouves dans la merde le jour où il te plaque, il faut quand même savoir tout plaquer pour vivre ses rêves irréalisables, et re-signer pour plusieurs années de galère alors qu'on était enfin sur le point de s'en sortir. Précisons que l’héroïne et le mec avaient rompu, au moment où elle s’apprête à signer son CDI. Elle ne refuse pas le CDI pour le suivre parce qu’ils sont en couple. Elle refuse le CDI pour se remettre avec lui !


Pour ceux qui ne suivaient pas, je le répète. Ca fait quatorze ans que je cherche un emploi. Quatorze putain d'années. J'avais des rêves, moi, aussi, figurez-vous. Des très ambitieux, des moins ambitieux, des pas ambitieux du tout. La réalité étant ce qu'elle est, aucun ne se réalisera jamais. Et là, on me sort un film pour m'expliquer que, même s'ils ne se réaliseront jamais, je dois les poursuivre quand même, parce qu'un toit sur la tête et à manger trois fois par jour c'est pas assez important ?


Va te faire enc****, le film.


Je ne comprends pas ce que les auteurs ont cherché à faire. Mettons de côté le fait que le garçon soit un odieux personnage, on peut faire un personnage antipathique sans réaliser qu'il est antipathique. Si ces auteurs ont à ce point conscience que ce n'est pas possible de survivre avec des allocs, pourquoi font-ils faire un choix aussi stupide à l'héroïne ? Et s'ils croient qu'il est important de tout plaquer pour vivre ses rêves, pourquoi le croient-ils alors qu'ils montrent qu’ils ont conscience qu'on est dans un monde ou on ne survit pas si on se contente de rêver ? Je ne pige vraiment pas.


Au moins, le film a eu la décence d'être con, avant de nous lâcher à la gueule une fin pareille. S'il avait été bon, je serai sûrement sortie de la salle de cinéma complètement démolie.


Parce qu'il y a tout de même une scène de ce film qui m'a fait pleurer. Dans la deuxième moitié, quand les camionneurs (parmi lesquels figure le garçon pour qui la fille refuse sont CDI), malgré la résistance des ouvrières grévistes, ont réussi à enlever les stocks de chaussures pour aller les entreposer ailleurs, et permettre ainsi le plan social. La situation est désespérée, la grève a échoué, l'usine va fermer. L'héroïne revient seule dans l'usine dévastée par la bagarre et commence à travailler. Parce qu'il ne lui reste plus que ça. Parce qu'elle veut travailler, même s'il n'y a plus d'espoir. J'ai versé de grosses larmes silencieuses à ce moment là.


Parce que les problèmes mal évoqués et mal présentés par ce film sont de vrais problèmes. Parce que la bonne volonté ne suffit pas face à la triste réalité du marché du travail, où il n'y a pas de place pour tout le monde. Parce que quand tout espoir est perdu, que ça ne sert plus à rien de se battre, de se rebeller, il ne reste que ça, être de bonne volonté, être de la meilleure volonté du monde, être irréprochable, même si ça ne sert à rien. Juste pour soi. Juste pour ne pas avoir de reproche à se faire.


Et ce film m'a fait croire qu'il comprenait cet état des choses. Comme il m'a menti.

tchoucky
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le 24 juil. 2016

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