Si Jeff Nichols a parmi ses influences Terrence Malick, alors comment ne pas s'intéresser à ce cinéaste ? C'est donc sans aucune attente que je suis allé voir « Take Shelter » porté par Michael Shannon. Ce dernier était jusque là cantonné aux seconds rôles mais sa carrière décolle depuis maintenant deux ans grâce à ce film et son rôle dans l'excellente série « Boardwalk Empire ». Parallèlement, Jeff Nichols a reçu aussi les honneurs du monde du cinéma avec un Grand prix de la Semaine de la Critique à Cannes pour ce « Take Shelter » après un premier film déjà remarqué, « Shotgun Stories ». Son prochain, « Mud », vient d'être présenté à Cannes en sélection officielle. Comment expliquer ce double succès (réalisateur et acteur) ?
Autant le dire d'emblée, ce film est assez fascinant. Une fois débuté, il est difficile de le lâcher tant il est envoutant. Nous nous attachons rapidement à ce Curtis LaForche en proie à des rêves, qu'il croit prémonitoires, qui hantent son existence jusqu'à fragiliser son couple et semer le désordre dans son entourage.
La narration est très lente ce qui ne fait qu'alimenter la psychose du personnage qui contamine aussi le spectateur. Ce dialogue entre le film et le spectateur, assez remarquable, est à mettre au crédit certes de la réalisation mais aussi et surtout à la performance magistrale de Michael Shannon. Habité et crédible, il nous emmène avec brio dans ses délires sur l a fin du monde.
C'est ainsi l'occasion pour le réalisateur et scénariste Jeff Nichols de multiplier les critiques tout au long du film sur une Amérique paranoïaque et craintive sans jamais en appuyer le trait. Son discours polémique est réalisé avec une délicatesse rare si bien qu'on apprécie aussi bien le véritable thriller angoissant qui se déroule sous nos yeux que la critique des obsessions protectrices américaines. Parmi celles-ci, la construction d'un abri sous-terrain par Curtis pour sa famille prend une grande place dans le scénario.
Pour autant, il ne faudrait pas oublier les autres membres du casting et en particulier Jessica Chastain, une nouvelle fois phénomènale, et la jeune Tova Stewart qui joue leur fille Hannah LaForche. L'alchimie est certaine entre les trois acteurs. C'est appréciable quand certains films rivalisent d'acteurs-stars sans qu'on sache vraiment s'ils prennent plaisir à jouer ensemble.
La dernière scène promet d'être frappante et Jeff Nichols parvient alors à conclure un véritable film fantastique dans sa définition si souvent tronquée. Après tout, le fantastique, utilisé à tout-va pour désigner tel ou tel film, retrouve ici sa définition originelle : un genre littéraire ou cinématographique marqué par l'hésitation insoluble entre le surnaturel et le rationnel pour expliquer les faits étranges du récit.